A qui profite la stratégie tunisienne pour l’hydrogène vert ?

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©petrmalink/Shutterstock

(Tunis, 20 décembre 2022) – Arab Reform Initiative et la Fondation Heinrich Böll ont publié un nouveau rapport examinant la stratégie nationale de la Tunisie en matière d'hydrogène vert, alors que le pays se prépare à développer et à étendre la production de ce « carburant vert » avec l'aide de partenaires étrangers.

Dans le document de recherche, intitulé «A qui profite la stratégie tunisienne pour l’hydrogène vert ? » l'autrice Aïda Delpuech soutient que dans la course au développement de cette alternative verte, tant la Tunisie que son partenaire, l'Allemagne, n'ont pas suffisamment évalué l'impact environnemental et social d'une telle stratégie sur la Tunisie ni consulté les acteurs et actrices de la société civile et les communautés locales potentiellement affectées.

« Pour que l'hydrogène vert soit à la hauteur de son potentiel en tant qu'énergie propre, il doit y avoir une discussion claire autour de ses potentiels coûts sociaux et environnementaux en Tunisie. Une telle discussion devrait impliquer un segment beaucoup plus large de parties prenantes que ce que nous avons vu jusqu'à présent », a déclaré Zied Boussen, chargé de recherche sur la Tunisie à l'Arab Reform Initiative.

La Tunisie s’est lancée début 2022 dans l'élaboration de sa stratégie nationale pour l'hydrogène vert, qu'elle souhaite finaliser d'ici 2024. Le pays a déjà annoncé qu'il privilégierait l'exportation de ce carburant vert à son utilisation locale. L'Allemagne est un partenaire clé de la Tunisie dans le développement de cette ressource. En décembre 2020, la Tunisie et l'Allemagne ont signé un accord de coopération de 31 millions d'euros pour développer ce nouveau secteur.

Alors que le secteur énergétique mondial a cherché à se réorganiser ces dernières années, plusieurs pays à travers le monde se sont joints à la course vers l'hydrogène vert. Contrairement à l'hydrogène gris, fabriqué à partir de combustibles fossiles (gaz naturel) et source importante de gaz à effet de serre, l'hydrogène vert est généré par électrolyse : l'eau est divisée à l'aide d'électricité provenant de sources d'énergie renouvelables. Sa production à grande échelle - alimentée par des mégaprojets d'énergie solaire et éolienne - nécessite une vaste mobilisation de plusieurs types de ressources tout au long de la chaîne de production de ce carburant.

Salué comme « l'énergie du futur » en Tunisie, l'hydrogène vert est promu comme un moyen de décarboniser les industries clés ainsi que les transports. Cependant, le rapport publié aujourd’hui critique le fait que la Tunisie se concentre sur l'exportation de cette énergie verte vers l'Europe sans donner la priorité aux besoins locaux, sachant que la Tunisie dépend à 97 % du gaz algérien pour produire de l'électricité. Une telle démarche ne ferait qu'accentuer une transition énergétique déjà ralentie en Tunisie.

Les engagements climatiques et les tensions géopolitiques liées à l'invasion de l'Ukraine par la Russie ont poussé les pays européens à se tourner vers différents fournisseurs, dont les pays d'Afrique du Nord, pour leurs besoins énergétiques. Annoncé publiquement le 18 mai 2022, le plan "RepowerEU", prévoit de doubler les importations d'hydrogène vert d'ici 2030, portant les estimations à 10 millions de tonnes par an.

« La stratégie de développement de l'hydrogène vert – ainsi qu'une transition plus large vers plus d'énergies renouvelables –  pourrait être une opportunité importante pour répondre aux besoins locaux en Afrique du Nord et pour décarboniser certains secteurs industriels en Europe, mais seulement si les plans sont bien pensés et basés sur des consultations multipartites », a déclaré Sarine Karajerjian, directrice du programme de politique environnementale à l'Arab Reform Initiative. « Si l'énergie verte est simplement considérée comme un "produit d'exportation", nous risquons d'assister à une répétition des anciennes relations économiques d'exploitation qui ont tendance à ignorer les besoins des populations locales ainsi que leur bien-être social et environnemental. »

Pour s'assurer que la stratégie de développement de l'hydrogène vert en Tunisie serve les besoins locaux tout en contribuant à la décarbonisation des industries clés en Europe, le rapport formule quelques recommandations clés à l'intention des décideurs et des partenaires du développement. Ces recommandations sont les suivantes :

Recommandations générales à l'intention des décideurs :

  • La production d'hydrogène vert doit suivre des normes sociales et de durabilité rigoureuses et respecter les droits de l'homme.
  • La production d'hydrogène vert doit s'orienter vers la priorisation de la création de valeur à échelle locale et l'accès des utilisateurs locaux à l'approvisionnement énergétique.
  • La production d'hydrogène vert ne doit pas compromettre la stratégie nationale de transition vers les énergies renouvelables ou les objectifs nationaux de décarbonisation en général.

Recommandations pour les décideurs tunisiens :

  • Développer des processus standardisés de consultation des parties prenantes à l'échelle nationale et locale afin d'inclure les utilisateurs locaux des terres et les autres personnes concernées dans le cadre de l'élaboration d'une stratégie tunisienne en matière d'hydrogène vert.
  • Garantir le droit des communautés locales à dire non aux projets d'énergie renouvelable sur leurs terres, tout en investissant très tôt dans la transparence et le partage d'informations, tout en programmant un scénario gagnant-gagnant et un partage des bénéfices avec les locaux pour gagner leur soutien et éviter les conflits.
  • Établir un cadre national qui définit les paramètres de la participation des communautés locales et les avantages (monétaires ou autres) des installations d'énergie renouvelable.
  • S'assurer que les communautés qui utilisent les terres bénéficient d'un soutien juridique pour négocier avec les investisseurs, les entreprises énergétiques ou les parties prenantes concernées ainsi qu’assurer un accès à une médiation indépendante en cas de conflit.
  • Assurer une meilleure coordination entre les ministères et les organismes concernés déjà engagés dans le processus d'élaboration de la stratégie afin d'harmoniser les efforts et de faire respecter la cohésion des acteurs concernés et de leurs objectifs particuliers.

Recommandations pour les partenaires internationaux :

  • Évaluer les risques écologiques en réalisant des études d'impact sur l'environnement qui éclairent l’élaboration de la stratégie nationale pour l'hydrogène vert.
  • Les pays qui importent de l'hydrogène devraient être tenus de certifier que l'hydrogène vert acheté provient de projets qui respectent les normes internationales en matière de droits de l'homme.

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Les opinions représentées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’Arab Reform Initiative, de son personnel ou de son conseil d'administration.