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Introduction
Alors que le secteur énergétique mondial cherche à se remodeler depuis quelques années, de plusieurs pays dans le monde se sont lancés dans la course à l’hydrogène vert, érigé en « énergie du futur ». À l’inverse de l’hydrogène gris, produit à partir des combustibles fossiles (gaz naturel) et hautement émetteur en gaz à effet de serre , l’hydrogène vert est généré par électrolyse, processus au cours duquel l’eau est décomposée à l’aide de l’électricité issue des énergies renouvelables. La combustion d’1 kg de ce gaz libère presque quatre fois plus d’énergie qu’1 kg d’essence . En 2021, la production mondiale d’hydrogène vert représentait 5% des 94 millions de tonnes produites sur l’année . Cette quantité est toutefois vouée à augmenter, au vu des différentes stratégies développées dans le cadre des plans de relance économique post-Covid ou encore des stratégies d’approvisionnement de l’Europe en énergie alternative au gaz russe .
À l’heure où un marché mondial de l’hydrogène vert est en train de se façonner, la Tunisie entame l’élaboration de sa propre stratégie, qu’elle prépare depuis le début de l’année 2022 et qui devrait être finalisée en 2024. Le pays a déjà annoncé qu’il allait privilégier l’exportation du carburant vert à son exploitation à l’échelle locale . « Promouvoir l’hydrogène vert, un marché en pleine expansion aujourd'hui dans le monde, est très important pour la Tunisie », a affirmé la GIZ , premier partenaire du gouvernement tunisien dans ce projet.
Bien que le Ministère tunisien de l’Energie ait accordé une grande importance au projet, aucun dialogue avec la société civile, les scientifiques et les populations concernées n’a eu lieu. Le pays rate ainsi l’occasion d’identifier les éventuels risques, tant au niveau environnemental que social alors que des doutent émergent quant à son intérêt pour la Tunisie.
La production de l’hydrogène vert à grande échelle – alimentée par des mégaprojets éoliens et solaires – requiert une mobilisation importante de différents types de ressources, tout au long de la chaîne de fabrication. Même si le Ministère de l’Energie affirme que « ces projets n'ont a priori pas d'impact négatif sur l'environnement », rien n’est moins sûr en réalité. Alors que les discussions actuelles portent essentiellement sur le positionnement de la Tunisie sur ce marché mondial naissant, les coûts sociaux et écologiques de ces projets majeurs sont rarement considérés. Les études se sont pourtant récemment multipliées, alertant sur les répercussions que de tels méga-projets pourraient avoir sur les ressources naturelles - l’eau, les sols, etc. - dans des pays fortement menacés par le dérèglement climatique.
Des doutes émergent aussi quant au réel apport de ce nouveau secteur vis-à-vis des engagements climatiques tunisiens. Alors que le pays est à ce jour dépendant à 97% du gaz algérien pour sa production électrique et que sa transition énergétique stagne, il est envisagé que la majeure partie de l’hydrogène vert produit sur le sol tunisien soit exportée à l’étranger, notamment vers Europe, comme l’ont confirmé les entretiens réalisés dans le cadre de cette étude.
Bien que l’hydrogène vert se profile comme étant une alternative théoriquement bien plus souhaitable que d’autres options polluantes, sa production massive profiterait essentiellement aux besoins énergétiques de l’Europe. Ceci soulève un autre problème de fond, celui de la reproduction d’un modèle extractiviste, basé sur la surexploitation des ressources naturelles destinées à l’exportation vers les marchés mondiaux.
Pour développer une stratégie de production d’hydrogène vert, les autorités tunisiennes, avec l’appui des pays européens - notamment l’Allemagne en ce qui concerne l’hydrogène vert - cherchent à prolonger l’exploitation des ressources de leurs voisins, sans véritablement considérer les besoins énergétiques des populations locales, les risques sociaux et écologiques tel que le stress hydrique, ainsi que la dette financière résultant de tels investissements.
Les opinions représentées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’Arab Reform Initiative, de son personnel ou de son conseil d'administration.