A qui profite la stratégie tunisienne pour l’hydrogène vert ?

Cette recherche a été commissionnée et revue en collaboration avec Heinrich-Böll-Stiftung (Tunisie). Vous pouvez télécharger le fichier PDF en cliquant sur le lien à droite.

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Introduction

Alors que le secteur énergétique mondial cherche à se remodeler depuis quelques années, de plusieurs pays dans le monde se sont lancés dans la course à l’hydrogène vert, érigé en « énergie du futur ». À l’inverse de l’hydrogène gris, produit à partir des combustibles fossiles (gaz naturel) et hautement émetteur en gaz à effet de serre1« La production d’un seul kilogramme d’hydrogène gris à partir de gaz naturel émet environ 11 kg de CO2 », dans Orygeen, « Hydrogène gris : l’hydrogène produit à partir d’hydrocarbures ». 2La production d'hydrogène gris issu des énergies fossiles est responsable d'environ 830 millions de tonnes d'émissions de dioxyde de carbone par an, soit 2,2 % du total des émissions mondiales. Voir « Hydrogen », IEA, 2020. , l’hydrogène vert est généré par électrolyse, processus au cours duquel l’eau est décomposée à l’aide de l’électricité issue des énergies renouvelables. La combustion d’1 kg de ce gaz libère presque quatre fois plus d’énergie qu’1 kg d’essence3« L’essentiel sur l’hydrogène », Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), 10 mai 2022, https://www.cea.fr/comprendre/Pages/energies/renouvelables/essentiel-sur-hydrogene.aspx . En 2021, la production mondiale d’hydrogène vert représentait 5% des 94 millions de tonnes produites sur l’année4Global Hydrogen review 2022 . Cette quantité est toutefois vouée à augmenter, au vu des différentes stratégies développées dans le cadre des plans de relance économique post-Covid ou encore des stratégies d’approvisionnement de l’Europe en énergie alternative au gaz russe5Anna Skowron et Joachim Fünfgelt, « Regulating the Hype: Renewable Hydrogen in the global South”, World Future Council, 2020. .

À l’heure où un marché mondial de l’hydrogène vert est en train de se façonner, la Tunisie entame l’élaboration de sa propre stratégie, qu’elle prépare depuis le début de l’année 2022 et qui devrait être finalisée en 2024. Le pays a déjà annoncé qu’il allait privilégier l’exportation6« La Tunisie, futur exportateur d’énergie vers l’Europe! » , African Manager, 13 mai 2022. du carburant vert à son exploitation à l’échelle locale7Développement de l’hydrogène vert : la Tunisie sur la bonne voie, La Presse, 10 septembre 2022 . « Promouvoir l’hydrogène vert, un marché en pleine expansion aujourd'hui dans le monde, est très important pour la Tunisie », a affirmé la GIZ8Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), organe allemand de coopération pour le développement. , premier partenaire du gouvernement tunisien dans ce projet.

Bien que le Ministère tunisien de l’Energie ait accordé une grande importance au projet, aucun dialogue avec la société civile, les scientifiques et les populations concernées n’a eu lieu. Le pays rate ainsi l’occasion d’identifier les éventuels risques, tant au niveau environnemental que social alors que des doutent émergent quant à son intérêt pour la Tunisie.

La production de l’hydrogène vert à grande échelle – alimentée par des mégaprojets éoliens et solaires – requiert une mobilisation importante de différents types de ressources, tout au long de la chaîne de fabrication. Même si le Ministère de l’Energie affirme que « ces projets n'ont a priori pas d'impact négatif sur l'environnement », rien n’est moins sûr en réalité. Alors que les discussions actuelles portent essentiellement sur le positionnement de la Tunisie sur ce marché mondial naissant, les coûts sociaux et écologiques de ces projets majeurs sont rarement considérés. Les études9Teske S., Niklas S., Mey F., (2022), Renewable Hydrogen in the Global South – Opportunities and risks, July 2022, University of Technology Sydney – Institute for Sustainable Futures (UTS-ISF) ; Ann Waters-Bayer and Hussein Tadicha Wario, “Pastoralism and large-scale REnewable energy and green hydrogen projects. Potential & Threats”, Heinrich Böll Stiftung, 2022. se sont pourtant récemment multipliées, alertant sur les répercussions que de tels méga-projets pourraient avoir sur les ressources naturelles - l’eau, les sols, etc. - dans des pays fortement menacés par le dérèglement climatique.

Des doutes émergent aussi quant au réel apport de ce nouveau secteur vis-à-vis des engagements climatiques tunisiens. Alors que le pays est à ce jour dépendant à 97% du gaz algérien pour sa production électrique10« Tunisie: les achats de gaz naturel en provenance d’Algérie ont progressé de 25% entre février 2021 et février 2022 », Énergies Media, 16 avril 2022. et que sa transition énergétique stagne, il est envisagé que la majeure partie de l’hydrogène vert produit sur le sol tunisien soit exportée à l’étranger, notamment vers Europe, comme l’ont confirmé les entretiens réalisés dans le cadre de cette étude.

Bien que l’hydrogène vert se profile comme étant une alternative théoriquement bien plus souhaitable que d’autres options polluantes, sa production massive profiterait essentiellement aux besoins énergétiques de l’Europe. Ceci soulève un autre problème de fond, celui de la reproduction d’un modèle extractiviste, basé sur la surexploitation des ressources naturelles destinées à l’exportation vers les marchés mondiaux.

Pour développer une stratégie de production d’hydrogène vert, les autorités tunisiennes, avec l’appui des pays européens - notamment l’Allemagne en ce qui concerne l’hydrogène vert - cherchent à prolonger l’exploitation des ressources de leurs voisins, sans véritablement considérer les besoins énergétiques des populations locales, les risques sociaux et écologiques tel que le stress hydrique, ainsi que la dette financière résultant de tels investissements.

Endnotes

Endnotes
1 « La production d’un seul kilogramme d’hydrogène gris à partir de gaz naturel émet environ 11 kg de CO2 », dans Orygeen, « Hydrogène gris : l’hydrogène produit à partir d’hydrocarbures ».
2 La production d'hydrogène gris issu des énergies fossiles est responsable d'environ 830 millions de tonnes d'émissions de dioxyde de carbone par an, soit 2,2 % du total des émissions mondiales. Voir « Hydrogen », IEA, 2020.
3 « L’essentiel sur l’hydrogène », Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), 10 mai 2022, https://www.cea.fr/comprendre/Pages/energies/renouvelables/essentiel-sur-hydrogene.aspx
4 Global Hydrogen review 2022
5 Anna Skowron et Joachim Fünfgelt, « Regulating the Hype: Renewable Hydrogen in the global South”, World Future Council, 2020.
6 « La Tunisie, futur exportateur d’énergie vers l’Europe! » , African Manager, 13 mai 2022.
7 Développement de l’hydrogène vert : la Tunisie sur la bonne voie, La Presse, 10 septembre 2022
8 Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), organe allemand de coopération pour le développement.
9 Teske S., Niklas S., Mey F., (2022), Renewable Hydrogen in the Global South – Opportunities and risks, July 2022, University of Technology Sydney – Institute for Sustainable Futures (UTS-ISF) ; Ann Waters-Bayer and Hussein Tadicha Wario, “Pastoralism and large-scale REnewable energy and green hydrogen projects. Potential & Threats”, Heinrich Böll Stiftung, 2022.
10 « Tunisie: les achats de gaz naturel en provenance d’Algérie ont progressé de 25% entre février 2021 et février 2022 », Énergies Media, 16 avril 2022.

Les opinions représentées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’Arab Reform Initiative, de son personnel ou de son conseil d'administration.