Tunisie : Quelles leçons pour une participation effective des jeunes en politique ? 

Tunis, 23 juin 2022 – L’Arab Reform Initiative (ARI) publie aujourd’hui deux rapports intitulés : « Participation politique des jeunes en Tunisie : Explorer l’impact des quotas jeunes à travers le prisme des conseillers municipaux » et « Compréhensions politiques des jeunes dans la Tunisie post-2011 : La parole donnée aux générations Y et Z ».

Ces rapports sont le fruit du projet mené par l’ARI de janvier 2021 à juin 2022 en partenariat avec les associations tunisiennes We Start et Houmetna visant à consolider la participation politique des jeunes dans les gouvernorats de Kairouan, Kasserine et Béja. Ce travail s’inscrit dans un contexte où la confiance des jeunes en le système politique est faible : 8,8% dans les milieux ruraux, 31,1% dans les milieux urbains selon le rapport sur la jeunesse de la Banque Mondiale en 2014. Cette absence de confiance se traduit par une faible représentation des jeunes dans les sphères politiques : la moyenne d’âge du parlement 2019-2024 étant de 51,8 ans (d’après les données de Marsad  ). Les deux phénomènes s’alimentent et se renforcent mutuellement, laissant un espace de plus en plus exigu pour les jeunes en politique.

« Ces rapports cherchent à comprendre pourquoi les jeunes Tunisien∙nes notamment issu∙es de régions longtemps marginalisées ne se sont pas retrouvé∙es dans l’espace politique qui s’est ouvert après la révolution de 2011 » déclare Zied Boussen, chercheur associé à ARI. « Cette question est d’autant plus urgente aujourd’hui vu la grande turbulence que connait la transition démocratique en Tunisie. »

Quel impact pour les quotas de jeunes dans les élections municipales ?

Le rapport « Participation politique des jeunes en Tunisie : Explorer l’impact des quotas jeunes à travers le prisme des conseillers municipaux » est le premier travail de recherche qualitatif à explorer en profondeur la participation des élu∙es municipaux∙les agé∙es de moins de trente-cinq ans à la vie politique locale. De l’acte de candidature à l’avenir politique de ces élu∙es locaux∙les, en passant par la campagne électorale de 2018, ce travail de recherche explore les différentes étapes de la participation des jeunes aux municipales où ils ont obtenu 37% des sièges. L’étude interroge aussi les élu∙es sur leurs parcours et leurs entourages pour mieux comprendre ce qui les distingue des jeunes non-engagé∙es en politique. Dix entretiens individuels ont été menés avec des jeunes conseiller∙ères municipaux∙les élu∙es lors des élections municipales de 2018 grâce aux quotas obligatoires de jeunes imposés par l’article 49 de la loi électorale de 2014 aux listes candidates.

Le rapport montre que les jeunes ayant fait leur entrée en politique grâce aux quotas jeunes imposés lors des élections municipales sont non seulement parmi les plus diplômés, mais bénéficient en outre d’une socialisation primaire (famille) ou secondaire (syndicalisme étudiant, société civile) qui a facilité leur entrée en politique en les familiarisant à la sphère publique. Aucun de ces élu∙es n’a été à l’initiative de sa candidature, ils et elles ont été coopté∙es par des listes menées par des personnes plus âgées (anciens professeurs, membres de la famille engagé∙es dans des partis). Le travail de ces jeunes élu∙es au sein des conseils municipaux est souvent rendu difficile par la perception que les autres élu∙es ont de leur âge (synonyme d’inexpérience) et pour les femmes, de leur genre. Toutefois, en croisant l’âge et le genre, la recherche démontre que la jeunesse ne constitue pas une identité suffisamment forte pour créer des alliances basées sur l’âge au sein d’un même conseil municipal.

« Les quotas obligatoires sont bien efficaces pour faire entrer des jeunes dans les sphères de la politique représentative. Toutefois, ils ne peuvent rien pour diversifier la provenance des élu∙es locaux∙les en amont, cela nécessite un travail de socialisation démocratique plus approfondi dans les programmes scolaires pour donner de meilleures chances à toutes et tous » déclare Malek Lakhal, chercheuse associée à ARI, « Les quotas sont par ailleurs insuffisants s’ils ne sont pas soutenus par des mesures d’accompagnement des jeunes élu∙es pour les aider à se familiariser avec le travail municipal et les textes de loi le régissant, puisque face à eux, se trouvent souvent des personnes qui ont déjà occupé ces postes du temps de Ben Ali. »

Générations Y et Z : Y a-t-il une difference entre les jeunes qui ont fait la revolution et ceux qui ont grandi durant la transition democratique?

Le rapport « Compréhensions politiques des jeunes dans la Tunisie post-2011 : La parole donnée aux générations Y et Z » est quant à lui, l’un des premiers travaux de recherche sur la jeunesse en Tunisie à explorer l’hypothèse d’une différence entre jeunes appartenant à la génération Y (aujourd’hui âgés entre 26 et 35 ans), qui ont vécu et participer à la Révolution de 2011 et génération Z (aujourd'hui âgés entre 18 et 25 ans), qui ont grandi durant la transition démocratique.

Pour tester cette hypothèse, douze focus groups ont été organisés dans six localités : Kairouan, Hajeb Laayoune et Chebika dans le gouvernorat de Kairouan, Kasserine et Foussana dans le gouvernorat de Kasserine, ainsi que Medjez el Bab, dans le gouvernorat de Beja. Dans chaque localité, deux focus groups ont été organisés : l’un avec des jeunes de la génération Z et l’autre avec des jeunes de la génération Y.

L’étude montre que les différences de perception politique sont assez importantes lorsqu’il est question de l’Ancien Régime : la génération Z, qui n’a pas connu le régime de Ben Ali a une perception plus positive de ce dernier que la génération Y dont la plupart des membres ont connu la dictature. Toutefois, ces deux générations s’accordent dans une évaluation globalement négative de la transition, tout en reconnaissant le bienfait d’une vie politique démocratique. Le rapport met en lumière les demandes de moralisation de la sphère publique émanant des jeunes issu∙es des deux générations, dans un contexte où la vie politique est secouée de scandales et polémiques quotidiennes tandis que les questions économiques et sociales sont laissées à la marge. L’accès aux services de santé, aux transports, à une bonne éducation sont autant de demandes qui transcendent l’appartenance générationnelle. De fait, bien plus que la génération, c’est l’environnement socio-politique des jeunes qui forge leur compréhension de la politique et détermine leurs appartenances. La « jeunesse » ne constitue donc pas un groupe homogène ou politiquement cohérent : générations, appartenances territoriales, appartenances de classe, et valeurs sont autant de segmentations nécessaires pour comprendre la manière de se penser des jeunes tunisien∙nes onze ans après la révolution.

Recommandations

Les deux études recommandent aux autorités tunisiennes de maintenir et renforcer les mécanismes d’inclusion des jeunes à la politique représentative. En amont, une révision des programmes scolaires, notamment en éducation  , doit inscrire plus durablement la démocratie comme pierre angulaire de la vie politique en Tunisie. En aval, les autorités tunisiennes doivent mettre en place des mécanismes d’assistance aux jeunes élu∙es locaux, les familiarisant avec leurs fonctions. ARI recommande par ailleurs le renforcement des quotas jeunes sur les listes électorales, en le rendant obligatoire pour les élections législatives et en levant l’interdiction de se présenter aux élections présidentielles qui pèse sur les personnes âgées de moins de trente-cinq ans. Ces réformes enverraient un message positif vers les jeunes en supprimant le principe paternaliste ayant eu cours jusqu’à aujourd’hui : plus l’élection est importante, moins les jeunes sont les bienvenus.

Ces travaux de recherches ont aussi permis dans un second temps à ARI d’accompagner de jeunes participant∙es aux focus groups à Kairouan et à Foussana, pour les aider à mettre en avant un des problèmes de politique publique auxquels ils et elles sont confronté∙es en tant que jeunes, et à y donner une réponse concrète. Cela s’est matérialisé à Foussana par l’organisation en mars 2022 des journées théâtrales de Foussana, et, à Kairouan par l’organisation d’une campagne de plaidoyer renforcée par une étude qualitative menée par les jeunes eux-mêmes sur l’état du transport dans le gouvernorat de Kairouan. Cet accompagnement a montré que la participation des jeunes dès les premières étapes d’un projet, notamment à travers une familiarisation avec les méthodes de recherche utilisées, permet de mieux cibler les problèmes rencontrés par les jeunes. Dans un premier temps, des ateliers de travail ont été organisés pour mieux cerner les besoins des jeunes et trouver des pistes de réponses à apporter, puis, les jeunes ont eux-mêmes exécuté ces projets avec l’assistance des associations Houmetna et We Start, ce qui a permis de les familiariser davantage à l’exécution de projets et de plaidoyer de politiques publiques.

Nos travaux sur la participation politique des jeunes en Tunisie :

Has Tunisia’s Democracy Failed to Convince its Youth? The Slow-Going of Democratic Socialization by Sarah Anne Rennick

Tunisian Youth and Political Life: From Stagnation to Revival? By Zied Boussen and Islem Mbarki

Notes et infos pour les médias :

L'Arab Reform Initiative est un groupe de réflexion arabe indépendant qui travaille avec des partenaires experts au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et au-delà pour articuler un programme local de changement démocratique et de justice sociale. Il mène des recherches et des analyses politiques et fournit une plate-forme pour des voix inspirantes basées sur les principes de diversité, d'impartialité, et d'égalité des sexes.

Pour les demandes des médias, veuillez contacter : Malek Lakhal - m.lakhal@arab-reform.net  ou Zied Boussen z.boussen@arab-reform.net

 

 

 

Les opinions représentées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’Arab Reform Initiative, de son personnel ou de son conseil d'administration.