L'environnementalisme post-décentralisation : La politique locale de gestion des déchets solides en Tunisie

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Poubelles de recyclage à Maamoura, Tunisie - décembre 2020. © Lana Salman

Introduction

Fin décembre 2020, Mustapha Laroui est limogé par le chef du gouvernement Hichem Mechichi. Alors ministre de l’Environnement et des Affaires Locales, Laroui est arrêté le jour même pour soupçons de corruption. Le scandale à l’origine de sa démission est lié à la facilitation du transfert de 282 conteneurs équivalant à 480 tonnes de déchets italiens vers le port de Sousse.1Déchets divers incluant des ordures ménagères, et potentiellement dangereux. L’affaire pris de l’ampleur à la suite de la diffusion de l’épisode de l’émission d’investigation Al-Hakaek Al Arbaa (les Quatre vérités), le 2 novembre 2020. Ces révélations ont scandalisé l’opinion publique et mis au jour toute l’étendue du problème.2Voir l’article (en arabe) publié par Kapitalis le 3 novembre 2020 https://rb.gy/q5hmj1 Vingt-trois autres suspects ont également été arrêtés et interrogés, dont le directeur de l'Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANGED) – qui a ensuite été libéré – et un diplomate tunisien résidant à Naples.3Simon Speakdman Cordall, Le ministre tunisien licencié et arrêté dans un scandale concernant des déchets illégaux en provenance d’Italie », 28 decembre 2020, https://bit.ly/2RRB0zH Même si l’affaire a fait la une des journaux en novembre, les déchets sont restés dans le port de Sousse pendant toute la fin d’année 2020. Des rapports indiquent que l’accord pour l’importation de ces déchets a été signé par la société tunisienne d’import-export Soreplast et la firme italienne Sviluppo Risorse Ambientali Srl, basée à Naples.4« Déchets italiens illégaux en Tunisie : plusieurs hauts responsables interpellés » France 24, 21 décembre 2020, https://bit.ly/3eks39B Contrairement à la version donnée par les médias – selon laquelle Soreplast aurait importé des déchets plastiques post-industriels en vue de les traiter, les recycler et les réexporter –, le contrat signé par les deux parties montre que l’objectif était d’éliminer définitivement les déchets en Tunisie, moyennant une somme de 48 euros par tonne, ne devant pas dépasser 120 000 tonnes par an, pour une valeur totale de 5 millions d'euros.

Dans le secteur de la gestion des déchets solides, les scandales sont nombreux. En mai 2015, Nawaat5Nawaat est un blog collectif indépendant fondé en 2004 qui propose des essais journalistiques de qualité sur la politique tunisienne. publie un rapport d’enquête6Nour El Houda Chaabane, « La décharge de Borj Chakir : Corruption endémique et cadres institutionnels inadéquats », Nawat, 15 mai 2015, https://nawaat.org/2015/05/15/decharge-de-borj-chakir-corruption-cadre-institutionnel-inadequat/ sur la corruption endémique concernant la gestion de la décharge de Borj Chakir, la plus grande du pays. Celle-ci est située dans la municipalité de Sidi Hassine, dans la banlieue sud de Tunis où se trouvent plusieurs quartiers populaires.7Borj Chakir est censé fermer en juin 2021, selon l'ancien ministre des Affaires locales et de l'environnement, Mokhtar Hammami : https://www.afrik21.africa/en/tunisia-government-will-shut-down-borj-chakir-landfill-in-two-years-time/ Dans un résumé lapidaire, le rapport révèle que la gestion des déchets solides constitue un secteur très lucratif où l’opacité et la corruption sont non seulement endémiques mais aussi institutionalisées. L’enquête expose des appels d’offre public fallacieux, un trucage qui a permis à la société française Pizzorno, dirigé par François Léotard, d’obtenir le contrat de gestion de la décharge de Borj Chakir, ce dernier étant un ami du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali. Dans ce rapport de 350 pages, Abdelfattah Amor met en lumière des affaires de corruption et de détournement de fonds dans tous les secteurs, par le régime totalitaire et ses proches.8Abdelfattah Amor est juriste, universitaire et spécialiste du droit public. En 2011, il a été nommé président de la Commission Nationale d’établissement des faits sur les affaires de Malversation et de Corruption. Ces dérives semblent avoir été facilitées par la création de l'ANGED en 2005.9Décret numéro 2005-2317, 22 août 2005, JORT. Une agence publique non administrative, contrôlant la gestion des déchets solides (ci-après dénommée GDS).

À partir des années 1990, avec la prolifération des politiques néolibérales, plusieurs campagnes de sensibilisation ont été menées, afin de promouvoir une conscience écologique chez les citoyens, mais ayant pour réel objectif de détourner le regard du public sur les manœuvres de corruption. Labib (Figure 1) a été la mascotte de ces campagnes. Avec ses statues dressées sur les ronds-points à travers la Tunisie, il est devenu l’emblème du RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique), unique parti au pouvoir. Après la révolution, presque toutes les effigies ont été détruites par les manifestants. Celles qui subsistent servent désormais de rappel de l’ampleur du conditionnement des citoyens par le régime totalitaire. Cet endoctrinement concernant l’environnement recoupe deux volets : un volet esthétique (un espace public orné de statues) et un volet moral, en termes de conformité à un modèle de conduite spécifique, par l’interdiction de jeter les détritus par exemple. De ce fait, la protection de l’environnement est d’avantage devenue une responsabilité morale personnelle qu’une question politico-économique liée aux modes de consommation de la société, à la création inévitable des déchets et aux moyens de s’en débarrasser. Malgré ces contraintes, Labib a joué un rôle dans la sensibilisation à l’environnement. Si la destruction de la majorité de ces statues marque une rupture avec l’ancien régime, aucune alternative n’a été trouvée pour remplacer la mascotte.

Figure 1: Labib au parc El Mourouj. Source: Wikiwand 

 

 Concernant la question environnementale, la période post-révolution se distingue par trois éléments : en premier lieu, la prolifération dans la société civile d’organisations œuvrant pour un environnement plus propre et plus sûr ; leurs membres prennent activement part à des réunions internationales soutenant des causes environnementales telles que la biodiversité ou les villes durables. En second lieu, la nette augmentation des campagnes ad hoc dans le champ de l’activisme environnemental ; ces activités, qui ne sont pas toutes institutionnalisées, font suite à des préjudices causés à l’environnement local à l’instar de la pollution de l’eau (Gabès) ou les décharges toxiques (Agareb, Djerba). S’ajoutent à cela les mouvements sociaux nés de protestations contre les dommages causés à l’environnement, avec une dynamique organisationnelle et un attrait populaire différents. Dans leur ensemble, ces efforts, aussi modestes soient-ils, contribuent à une meilleure compréhension de la durabilité environnementale au-delà des questions de propreté, d’esthétique et de responsabilité morale. Ces initiatives participent à amorcer une conscience de problèmes plus généraux tels que l’échec des institutions, la corruption systémique et le tri sélectif des déchets. La participation grandissante des activistes et des ONG tunisiennes aux réunions internationales axées sur des problématiques telles que la biodiversité, le changement climatique, les objectifs de développement durable (ODD) et les villes durables, en plus des rencontres avec les responsables tunisiens, sont autant d’éléments qui ont permis d’élever les préoccupations environnementales à un niveau national et international.

Le dernier et peut être plus important facteur en jeu est celui de la décentralisation : , selon le principe de subsidiarité, la décentralisation place les municipalités au centre de la GDS. Les autorités locales, par leur proximité avec les citoyens, sont considérées comme les premières institutions responsables de la GDS et sont supposées en être les gestionnaires les plus efficaces. D’après une enquête menée par la Fondation Heinrich Böll en 2016, les citoyens attendent également des municipalités qu’elles priorisent la collecte des déchets solides. De plus, l’enquête a mis en lumière la dégradation du comportement des Tunisiens vis-à-vis de l’environnement, soulignant la responsabilité des municipalités mais aussi celle des citoyens. Les personnes interrogées ont affirmé que la résolution des problèmes environnementaux passe par la coordination des efforts entre la municipalité, le gouvernement central et les citoyens. Si ces derniers perçoivent la présence de détritus dans l’espace public comme le symptôme d’une gouvernance locale défaillante, leur point de vue ne prend pas en considération la chaîne de la GDS10La cartographie de l'ensemble de la chaîne montre que les questions de GDS ne peuvent être dissociées des producteurs d'emballages et autres déchets. Toute politique de GDS doit être plus englobante sur le plan conceptuel afin d’inclure ces derniers et ne rien cacher de la politique de la fuite en avant qu’ils adoptent lorsqu’il s’agit de la GDS. dans son ensemble, ni le fait que les premiers conseils locaux démocratiquement élus n’ont commencé à agir que depuis mai 2018, avec un budget et des ressources humaines très contraignants. De plus, les conseils municipaux et les administrations sont toujours dans l’attente de lois, décrets et décisions pour rendre opérationnels les divers articles de la loi organique. Cette vision d’une gouvernance locale défaillante ne saisit pas entièrement la complexité des environnements politiques et institutionnels dans lesquels interviennent les municipalités. Elle ne prend pas en considération le fait que les conseils locaux élus, ayant entamé la mise en œuvre des réformes de décentralisation en 2018, ont hérité d’institutions structurellement faibles qu’ils s’efforcent de redresser. Pareillement, la politisation des conseils municipaux a engendré des désaccords entre les partis politiques, ce qui a rendu la prise de décision encore plus difficile pour les municipalités.

La présente étude se situe dans ce paysage instable et mouvant. Il s’agit d’avoir une compréhension transversale de la GDS, axée sur la justice environnementale, reliant écologie, vies, moyens de subsistance et institutions. Appliquant la théorie de « la violence lente » de Rob Nixon au contexte tunisien, l’étude examine trois études de cas de la gestion municipale des déchets solides et le rôle de l’activisme environnemental dans ces exemples.11Rob Nixon. Slow Violence and the Environmentalism of the Poor. Harvard University Press, 2011. L’analyse montre que, malgré la large panoplie de mandats accordés aux municipalités dans le cadre des réformes de décentralisation, la GDS requiert une coordination à différentes échelles et entre différentes institutions. Les municipalités, soumises à des contraintes financières et humaines, constituent des maillons faibles et se trouvent coincées entre les doléances des citoyens et les priorités du gouvernement. Malgré quelques modestes réalisations, elles sont actuellement dans l’incapacité de contrecarrer la « violence lente », résultat de l’échec des pratiques de la GDS.

Opposé à une définition de la dégradation de l’environnement comme étant une violence structurelle, Nixon propose le concept de « violence lente », « une violence qui se produit graduellement et hors de vue, une violence de destruction différée qui est dispersée dans le temps et l'espace, une violence usante qui n'est généralement pas considérée comme une violence du tout ».12« a violence that occurs gradually and out of sight, a violence of delayed destruction that is dispersed across time and space, an attritional violence that is typically not viewed as violence at all. » (Nixon 2011, 2 ) L’ouvrage de Nixon commence par une citation de Larry Summers, ancien président de la Banque mondiale, extraite d’un mémo qui a fuité, dans lequel il justifie le déversement de déchets toxiques dans les pays pauvres, « sous pollués » et à faible revenu. Selon cette logique économique, la sous-pollution constitue un « avantage comparatif » des pays à faible revenu par rapport aux pays industrialisés et plus riches. Du fait de l’importance des mouvements écologistes dans les pays du Nord, le transport et l’élimination des déchets dans le Sud est à la fois économiquement justifiable pour les pays bénéficiaires et politiquement opportun pour les gouvernements riches qui désirent calmer la dissidence environnementale. On comprend donc l’intérêt du scandale des déchets italiens dans le cadre de la « violence lente ».

Pour le moment, ce scandale est tout sauf étouffé ou « hors de vue ». Mais une fois que l’intérêt aura diminué, le public oubliera probablement les millions de tonnes de déchets enfouis et empoisonnant la terre, l'air et les nappes phréatiques dans les innombrables décharges contrôlées et anarchiques du pays. Ces scandales lorsqu’ils éclatent n’annulent pas les conséquences invisibles de la gestion des déchets solides. De ce fait, au-delà du scandale italien, le cadre de la « violence lente » est crucial pour dévoiler cette toxicité, qu’autrement on oublie puisqu’elle concerne des populations perçues comme négligeables. Les deux plus grandes décharges de Tunisie, Borj Chekir et El Gonna, se situent dans des zones défavorisées, des quartiers populaires dont les habitants sont considérés comme des laissés-pour-compte. La toxicité les affecte physiquement de manière disproportionnée ; quand elle ne les tue pas lentement, elle atteint leurs enfants. C'est la « violence lente ». Comme le montre cette étude, les municipalités sont dans l’incapacité de les défendre contre ces agressions pour trois raisons: (i) leur définition de l'environnement est trop étroite, (ii) elles n'utilisent pas pleinement leur autorité juridictionnelle, par exemple pour taxer les pollueurs, et (iii) leurs pouvoirs sont grandement limités par des institutions déconcentrées ou centralisées comme les gouverneurs ou l'ANGED.

Sur le plan méthodologique, cette étude a été menée sous le prisme des politiques municipales. Elle présente trois études de cas : Nabeul et Maamoura (gouvernorat de Nabeul) et Agareb (gouvernorat de Sfax), qui documentent les pratiques de la GDS, la sensibilité du personnel municipal aux questions de durabilité environnementale et le rôle des organisations environnementales de la société civile dans ces localités. Ces cas d’étude, regroupant l’exemple de la bonne gouvernance, l’exemple des bonnes apparences et l’exemple de la toxicité, montrent les contraintes auxquelles font face les municipalités dans la gestion quotidienne des préoccupations environnementales dans le secteur de la GDS. Elles révèlent comment les différences de compréhension de ce qu'est l'environnement influent sur la prise de décision des municipalités, marginalisant les activistes. Alors que pour les municipalités les problèmes environnementaux sont liés à des considérations techniques, tel que le problème de la propreté ou à des responsabilités juridictionnelles, pour les activistes, les dommages environnementaux sont concrets - ils affectent leur santé et leur intégrité corporelle.

Le choix des cas se fonde sur une recherche bibliographique sur les expériences d'activisme environnemental dans les localités tunisiennes, d'après leur situation géographique. Les trois municipalités sont situées sur la côte. De ce fait, elles disposent de plus de ressources que celles des régions intérieures. La municipalité de Maamoura a fait la une des journaux pour sa collaboration avec les organisations de la société civile. À la suite de la campagne de la société civile Manish Msab (Je ne suis pas une décharge), la municipalité d‘Agareb est désormais connue pour abriter la décharge la plus toxique du pays. Nabeul est l’exemple neutre d'une riche municipalité côtière qui nous sert de cas comparatif par rapport à Maamoura et Agareb, plus pauvres et plus petites. L'étude s'appuie sur une recherche bibliographique comprenant des références de la littérature grise et académique, ainsi que sur quatre entretiens menés par Lana Salman et Zied Boussen les 23 et 24 décembre 2020, avec un membre du personnel de la municipalité de Nabeul, deux membres du personnel de la municipalité de Maamoura, deux membres du personnel de la municipalité d’Agareb et un activiste environnemental de la même localité.13L'entretien à la municipalité de Maamoura a été enregistré sur support audio. Pour le reste, Lana et Zied ont pris des notes détaillées et complémentaires. À l'exception de l'activiste de la société civile de la campagne Manish Msab, j'utilise des pseudonymes pour préserver l’anonymat de nos interlocuteurs. Le guide d'entretien figure à l'annexe 1.

L'étude est organisée comme suit. La première section présente un aperçu du cadre juridique et institutionnel de la gestion des déchets solides. Viennent ensuite les trois études de cas, accompagnées d'un résumé succinct des indicateurs sur chacune des municipalités. Chaque étude de cas explore la compréhension prévalente de « l'environnement », les défis et les succès de la municipalité en matière de GDS, et le rôle des activistes environnementaux le cas échéant. La conclusion suggère des pistes de recherche pour l'avenir.

Le cadre légal et institutionnel de la gestion des déchets

La GDS constitue un problème multi-scalaire et multi-institutionnel nécessitant une coordination entre les citoyens, les gouvernements locaux et les autorités centralisées. La dernière stratégie de GDS du pays a pris fin en 2016 et attend encore d’être renouvelée.14Le ministère des Affaires locales et de l'environnement travaille actuellement sur une stratégie soutenue par l'USAID. La gestion des déchets commence au niveau des ménages.15La chaîne pourrait être étendue pour inclure les producteurs responsables de la conception des emballages jetables. Cependant, une analyse détaillée de cette chaîne n'entre pas dans le cadre de cette étude. Dans la plupart des localités, la collecte se fait par le mode du porte-à-porte. En effet, les ménages sont chargés de collecter leurs déchets dans des sacs en plastique et de les déposer sur les trottoirs, devant leur domicile. Des véhicules (camions municipaux, ou engins du sous-traitant de la municipalité) ramassent ensuite ces détritus, selon un planning préétabli, généralement le soir. Dans les localités à forte densité démographique, au lieu de la collecte en porte-à-porte, les ménages déposent leurs déchets dans de grands conteneurs disponibles à des endroits désignés dans les quartiers. Des véhicules de compactage vident régulièrement ces conteneurs. Une fois les déchets collectés, les municipalités les transportent et les stockent temporairement dans des centres de transfert réservés aux municipalités géographiquement contiguës. Ces centres ont un tonnage fixe pour le stockage quotidien des déchets solides. Nos interlocuteurs ont souligné que ces centres de transfert opèrent à pleine capacité : le temps d’attente pour vider les véhicules municipaux peut dépasser parfois trois heures.

L’ANGED est responsable de la gestion de ces centres, du transport des déchets depuis ces derniers vers les décharges contrôlées présentes sur tout le territoire et dont elle assure aussi la gestion.  La cartographie de la chaîne de GDS révèle que des problèmes peuvent survenir sur n’importe quelle échelle ou à n'importe quel point de la chaîne : si par exemple, les ménages ne déposent pas leurs déchets à temps sur les trottoirs, les municipalités ne peuvent effectuer les tournées quotidiennes de collecte à cause des retards dans les centres de transfert, et enfin l'agence centralisée est incapable de gérer les décharges fonctionnant au-delà de leur capacité. Dans ce sens, l'activisme environnemental peut cibler n'importe quel point de la chaîne, comme l’illustre les études de cas présentées dans la section suivante.

Lorsque des tas d'ordures pourrissent au coin des rues, les citoyens reprochent à leurs municipalités de manquer d’efficacité. Même si ces derniers sont mal informés, comme expliqué ci-dessus, leurs critiques sont compréhensibles. Le rôle des gouvernements locaux est essentiel au bon fonctionnement de la chaîne de GDS. Les rues jonchées de détritus révèlent une gouvernance dysfonctionnelle et matérialisent les problèmes de GDS par des scènes répugnantes. La loi organique des collectivités locales (Code des Collectivités Locales, loi JORT n°29, 9 mai 2018, ci-après CCL) détermine les rôles et les responsabilités des municipalités en matière de GDS dans le cadre plus large de la préservation de l'environnement, de la propreté et du développement durable.16Le développement durable est mentionné dans le préambule du CCL et dans les articles : 75, 106, 109, 119, 120, 124, 296 et 125. Les articles spécifiques qui invoquent l'environnement et la propreté sont repris dans le tableau 1.

Tableau 1: Les dispositions légales relatives à l'environnement au niveau local. Source : compilation de l'auteur basée sur le CCL

À partir des articles listés dans le Tableau 1, trois points sont à mettre en évidence. Premièrement, et du moins théoriquement, les municipalités ont des responsabilités étendues concernant le développement durable et la protection de l’environnement, les obligeant à un type de développement local qui respecte les principes de durabilité grâce à des dispositions telles que les taxes sur les activités polluantes, et une police environnementale pour en assurer le respect. Toutefois, il est difficile de savoir, dans la pratique, si les municipalités utilisent leur pouvoir pour sanctionner les pollueurs. Étant donné que la plupart des municipalités manquent de financement, certaines ne disposent pas d’une police de l’environnement, tandis que dans d’autres, les agents de police, dont le nombre est très réduit, couvrent de larges portions de territoire. Conséquemment, l’application des dispositions demeure sélective. Deuxièmement, aucun des articles mentionnés ne définit ce qu’est « l’environnement » ce qui crée un amalgame entre propreté et santé publique. Mais, au-delà de la question de la définition, le même comité qui gère « l’environnement » est aussi responsable de la GDS et de la santé publique.17L'environnement est défini dans la loi n°88-91 du 2 août 1988 portant sur la création de l'Agence Nationale pour la Protection de l'Environnement (ANPE). L'article 2 de la loi stipule : « On entend par environnement, dans le cadre de la présente loi, le monde physique comprenant le sol, l'air, l'eau, les eaux souterraines et de surface (cours d'eau, lagunes et lacs), les espaces naturels, les paysages et les sites, ainsi que les mammifères, les plantes et en général l'ensemble du patrimoine national ». Traduction de l'auteur. Finalement, seul l’article de la loi n°2016-30 du 5 avril 2016 précise les responsabilités municipales en matière de GDS.

Il n'existe pas de structure tarifaire distincte pour la GDS municipale.18Voir World Bank, Project Appraisal Document, Sustainable Municipal Solid Management Project, 12 février 2007. Le service est financé par les taxes municipales générales. L'article 160 du CCL stipule que les municipalités doivent allouer les ressources nécessaires pour le nettoyage et l'entretien des routes, des trottoirs, du réseau d'éclairage public et le nettoyage du réseau d'égouts ainsi que des espaces verts. Une tonne de déchets coûte entre 60 et 80 TND à collecter, et 20 TND à transporter vers une décharge sanitaire.19Voir https://www.resource-recovery.net/sites/default/files/tunisie_ra_fr_web.pdf.   80% de ces coûts de transport sont subventionnés par le gouvernement central à travers le fonds de dépollution (FODEP) de l'Agence Nationale pour la Protection de l'Environnement (ANPE).20Le FODEP a été créé en 1992, son utilisation a été fixée par décret en 2005, voir http://www.anpe.nat.tn/Fr/fodep_11_52 . Ses fonds sont alloués au Programme national de propreté et d'embellissement Même si les réformes de décentralisation fiscale ont permis de restructurer les transferts fiscaux intergouvernementaux selon des critères de performance prédéterminés, aucun système de recouvrement des coûts n'a été établi pour les services municipaux, y compris la GDS.

L'Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANGED) est l'institution centralisée responsable de la construction et de la gestion des décharges sanitaires. L'ANGED a ajouté au paysage institutionnel de la gouvernance environnementale une structure spécialisée dans la gestion des déchets solides. Elle succède à une pléthore d'institutions, et fait suite à la ratification de nombreux textes législatifs visant à promouvoir la protection de l'environnement, à l’apogée du régime autoritaire néolibéral de Ben Ali.21Siad Darwish, « “Country of Rubbish”: Waste and the Environmental Legacies of Authoritarianism in Post-revolutionary Tunisia », thèse de doctorat non publiée, Rutgers, The State University of New Jersey, 2017. C'est également à cette même période qu’est né Labib et qu’il a commencé à apparaître sur les boulevards environnementaux du pays. Le mandat de l'ANGED comprend l'assistance aux municipalités et aux industriels, la valorisation des déchets à travers le recyclage et d'autres activités (l’ANGED a sponsorisé des programmes de recyclage, connus sous le nom d'ECOLef) ainsi que l'encouragement des partenariats entre le public et le privé pour la création d'emplois dans le secteur.22Une étude de l’Agence de coopération internationale allemande pour le développement (GIZ) en avril 2014 montre une baisse du nombre de points de collecte et des revenus d'ECO-Lef, ce qui indique une potentielle corruption dans le secteur de la valorisation des déchets. Les revenus d'ECO-Lef devraient théoriquement servir à financer la gestion des neuf décharges contrôlées du pays. https://www.resourcerecovery.net/sites/default/files/tunisie_ra_fr_web.pdf En 2014, l'ANGED gérait dix décharges contrôlées, cinq décharges semi-contrôlées, et entamait (ou planifiait) la construction de cinq décharges supplémentaires. L'implication de l'ANGED dans le récent scandale des déchets importés d'Italie est un autre épisode de l'histoire peu reluisante de l'institution, révélée au grand jour après la révolution. Lors d'une conférence de presse en 2014, l'avocate Faouzia Bacha Amdouni a déclaré que des fonds colossaux ont transité par le ministère de l'Environnement et ses agences (ANGED, ANPE, etc.) pour des projets environnementaux qui n'ont jamais été mis à exécution, pour être finalement empochés par le régime et ses acolytes.

Même avec la conditionnalité des donateurs, il n’existe plus de réformes dans le secteur. Le rapport, clôturé en 2014, sur l’aboutissement de la mise en œuvre et les résultats du projet de la Banque Mondiale de gestion durable des déchets solides municipaux révèle une note insatisfaisante. Cela signifie que tous les fonds du prêt ont été dépensés sans atteindre l'objectif de développement du projet (Project Development Objective, PDO). Le dispositif institutionnel de développement censé systématiser les marchés publics d'ANGED et les rendre transparents a été abandonné. Celui-ci comprenait également l'élaboration de plans régionaux de gestion des déchets solides, engageant plusieurs parties prenantes, ainsi que la mise en place d’un programme pilote avec la participation prévue de 10 à 15 municipalités afin de déterminer et recueillir des indicateurs de base dans le secteur. Ces deux activités ont également été abandonnées. Le fait que ce prêt relativement modeste de 22 millions de dollars ait été clôturé deux ans après la date initialement prévue (2014 au lieu de 2012), réévalué et jugé insuffisant témoigne des difficultés à mettre en place les institutions compétentes et responsables nécessaires à la réforme du secteur.23Un autre exemple de réformes sectorielles infructueuses concernant le projet de tri sélectif de Djerba est le partenariat entre le ministère du Tourisme et le ministère des Affaires locales et de l'Environnement signé en accord le 12 février 2019 pour réduire les déchets sur l'île de Djerba. Le programme n'a jamais été mis en œuvre.

La bonne gouvernance, les bonnes apparences, le toxique : trois cas de GDS municipale et d'activisme environnemental.

Les déchets représentent une préoccupation environnementale pour l'ensemble des Tunisiens. Interrogés sur leur perception des problèmes de déchets, de pollution de l'eau, de qualité de l'air et de changement climatique lors de la cinquième vague de l’Arab Barometer, 70% des citoyens arabes ont estimé que la pollution de l'eau constitue le problème le plus grave, suivi par les déchets pour 66% des répondants. Ce pourcentage est beaucoup plus élevé en Tunisie, où 77% des personnes interrogées considèrent les déchets comme un problème très grave. La désagrégation par niveau d'éducation montre que 60% des personnes ayant un niveau de base jugent très grave le problème des déchets, contre 72% pour les personnes ayant un niveau d'éducation supérieur. Les ordures sont alors aussi un problème de pauvres. De même, la désagrégation par zones rurales et urbaines ne montre pas de différences marquées, 67% de la population urbaine contre 62% de la population rurale considèrent les déchets comme un problème très grave.

Les trois études de cas détaillées ci-dessous montrent les contraintes sous lesquelles l'État local aborde une question qui préoccupe une grande partie de la population tunisienne. Elles explorent spécifiquement la manière avec laquelle le personnel municipal aborde la GDS dans le cadre de ses opérations quotidiennes, et pour deux des trois cas, le rôle des organisations de la société civile. Le tableau 2 fournit des informations sur ces municipalités. Nous classifions les cas selon trois termes : la bonne gouvernance, les bonnes apparences et le toxique pour saisir la diversité des expériences en matière de GDS. Évidemment, cette classification n'est pas exhaustive, ni représentative de l'ensemble des cas. Toutefois, elle présente des variations pouvant être approfondies par des recherches supplémentaires. Si les termes « bon », «  bonnes apparences » et « toxique » se rapportent à la gouvernance municipale, alors le manque d’implication, la collaboration et la contestation pourraient servir à qualifier l'engagement de la société civile dans chacune des villes de Nabeul, Maamoura et Agareb, comme détaillé ci-dessous.

 

Tableau 2 : Caractéristiques des trois municipalités étudiées.

LA BONNE GOUVERNANCE À NABEUL

Située sur la côte, relativement riche, et par ailleurs ordinaire, la municipalité de Nabeul a fait l'actualité en septembre 2018 lorsque des pluies record ont provoqué des inondations soudaines, qui ont coûté la vie à six personnes dans la localité. Une évaluation rapide des besoins, réalisée peu après par la Banque Mondiale, les Nations Unies et l'Union Européenne, a montré que les coûts de réparation s'élèveraient à 100 millions de dollars US.24Tunisia Integrated Disaster Resilience Program (P173568), Program Information Document (PID), 22 juin 2020, Rapport Numéro PIDC225236 Depuis lors, Nabeul a reçu de nombreux fonds de la part de plusieurs institutions bilatérales et multilatérales axées sur le changement climatique. Grâce à son personnel technique compétent et à son administration agile, la municipalité est aujourd'hui la référence en matière d'interventions au niveau local dans le domaine du changement climatique, de la gestion et du financement des risques de catastrophe. En témoigne le prêt de 150 millions de dollars financé conjointement par la Banque Mondiale et l'Agence Française de Développement, actuellement en cours d'évaluation. S'il est approuvé, ce projet sera le premier en Tunisie et dans la région à capitaliser sur le changement climatique pour assurer le secteur privé contre les « risques naturels ». Nabeul en sera le laboratoire. Bien que notre conversation à la municipalité de Nabeul soit focalisée sur la GDS, nous fournissons ce contexte pour soutenir l'argument que Nabeul sert de cas comparatif de bonne gouvernance dans la gestion de l'environnement, malgré un contexte politique difficile, comme montré ci-dessous.

Désaccords politiques, solutions techniques

Ingénieur de formation spécialisé dans la gestion de l'environnement rural, notre interlocuteur, Ahmed Nouri, a rejoint la municipalité de Nabeul en 2009 en tant qu'ingénieur spécialisé en eau et assainissement. Avec une expérience préalable dans le secteur privé, Ahmed assume, aujourd’hui, les responsabilités de directeur du département de l'hygiène et de l'environnement, un poste vacant depuis des années. Il gère une équipe de 82 travailleurs en plus des tâches administratives et de gestion de projets. Interrogé sur sa définition de la durabilité environnementale, notre interlocuteur en a donné une définition classique : assurer l'accès aux services et satisfaire les besoins actuels tout en préservant la disponibilité des ressources pour les générations futures. Il a ajouté que celles-ci sont limitées et que l’humain est responsable de leur dégradation rapide. Mais la nature réagit à sa propre manière. Les inondations subites de Nabeul sont un exemple de cette réponse. Au sujet de ces inondations, Ahmad a fait remarquer qu'elles n'étaient pas nombreuses, mais que l'on a été surpris par leur intensité. Soudain, on se retrouve coincé dans sa maison avec de l'eau jusqu'aux genoux. Ces inondations sont le résultat du changement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre, comme nous l'a expliqué Ahmed spontanément. Il a également évoqué le Protocole de Kyoto et les accords de Cancún censés mettre en place des mécanismes pour restreindre ces émissions. Dans un contexte où de nombreux administrateurs compétents dans le monde ne croient pas que le changement climatique soit une menace éminente pour notre planète, la position d'Ahmed sur la question est rafraîchissante. Le fait qu'il travaille pour une administration municipale devrait convaincre les sceptiques sur la décentralisation quant à la capacité des autorités locales, du moins en termes de connaissances techniques, à s'attaquer aux problèmes environnementaux à l'échelle mondiale.

Sur le plan technique, Ahmad a des idées claires sur la manière de s'attaquer à des problèmes colossaux comme le changement climatique. À Nabeul, il a collaboré avec des donateurs tels que MEDCITY, pour mettre en œuvre des projets dans le secteur de la GDS, plutôt que de simples études. Le projet prévoyait l'optimisation des itinéraires de collecte afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre des camions de collecte, ainsi que le suivi et la mise à jour des itinéraires grâce au système d'information géographique (SIG) de la municipalité. Malgré l'adoption de ces mécanismes, les problèmes persistent car la GDS est une responsabilité partagée dont la municipalité ne contrôle qu'une partie. Au centre de transfert, les engins municipaux doivent attendre plusieurs heures pour vider leur chargement car le centre fonctionne au-delà de sa capacité. Ces retards entraînent des délais en termes de collecte dans toute la ville que l'optimisation des itinéraires ne peut réduire, à elle seule. À cela s'ajoutent les faiblesses structurelles accumulées. Comme dans d'autres municipalités pendant la révolution, les manifestants ont détruit des engins et des équipements que les municipalités ont à peine pu remplacer. Aujourd'hui, les citoyens sont moins disciplinés, ce qui rend la collecte en porte-à-porte difficile. À cause des limites budgétaires et du suremploi dans le secteur public, les municipalités ne peuvent recruter du nouveau personnel. Elles desservent donc des zones plus vastes, avec plus de besoins, mais avec des ressources physiques et un capital humain inchangés, voire diminués. Le fait que Nabeul puisse encore mener des projets d'optimisation de la GDS, compte tenu de ces défis, doit être considéré comme une réussite.

Les reproches qu’a formulé Ahmed ne se rapportent pas aux défis techniques du secteur de la GDS mais plutôt à sa relation tendue avec la maire précédente, qui avait siégé au conseil avant la révolution. Selon Ahmed, elle ne le traitait pas avec respect, convaincue qu'elle pouvait s'en tirer avec le même comportement que sous le régime autoritaire. À l'époque, nous dit Ahmed, les conseils gouvernaient sans que personne ne remette en question la légitimité de leurs décisions. En raison de leur relation conflictuelle, la maire ne l’autorisait pas à se rendre à des formations ou à des ateliers que les donateurs organisaient dans le cadre de leur collaboration avec la municipalité. Elle avait également refusé sa demande de transfert hors de son poste. Ahmed a de meilleures relations avec le maire actuel. De telles tensions entre le conseil élu et l'administration provoquent des frictions importantes, rendant le travail municipal encore plus difficile.

La question ambivalente de la participation

Ahmed avait quelques réserves sur la gouvernance participative. Il nous a raconté que pendant les sessions de planification participative que la municipalité organise pour hiérarchiser les investissements dans le cadre de son plan d'investissement annuel, les participants se disputaient au sujet du mode de collecte des déchets solides dans leur quartier. Ces querelles pouvaient dégénérer et devenir violentes. Les participants en venaient à se battre et se frapper parce qu'ils tombaient en désaccord sur certaines questions : le moment où ils doivent sortir leurs ordures et les placer sur le trottoir pour la collecte en porte-à-porte, ou l'emplacement d'un point de collecte désigné à tel ou tel coin de rue. Consulter les citoyens est une bonne chose, a déclaré M. Ahmed, mais la moitié des préoccupations de son service en matière d'hygiène publique sont d’ordre technique et ne sont pas soumises au bon vouloir des citoyens. De plus, ces derniers attendent de la municipalité qu'elle apporte des solutions à leurs problèmes personnels au lieu de s'occuper de ce qui est dans l'intérêt du grand public. Inviter les habitants à participer conduit à la multiplication des demandes sans qu'aucune décision ne soit prise. De plus, les intérêts personnels n’ont pas lieu d’être lorsqu'il s'agit de résoudre des problèmes d’ordre publique comme la collecte des ordures. Il n'est même pas vrai que la participation sensibilise les citoyens, a soutenu Ahmed. En théorie, de telles réunions devraient persuader les citoyens de payer leurs impôts locaux, facilitant ainsi le rôle de la municipalité dans la fourniture de ces services. Mais ce n'est pas le cas. Ahmed a conclu que « le comportement des gens, c’est 10% de sensibilisation et 90% d'application », considérant la participation comme un exercice de consultation laborieux qui ne contribue nullement à améliorer la qualité des services qu'il fournit.

Le cas de Nabeul montre que la bonne gouvernance en matière de GDS dépend étroitement de la présence d'un personnel technique qualifié ayant une expertise dans le secteur, mais aussi une grande compréhension de ce qui constitue un environnement sain et durable. Malgré ses querelles avec les dirigeants municipaux, notre interlocuteur a exercé ses fonctions en étant soumis à des contraintes budgétaires et organisationnelles. Son attitude s’apparente à celle de nombreux administrateurs qui se méfient des conseils locaux élus et critiquent la gouvernance locale politisée. Bien qu’il ne le reconnaisse pas, sa qualité d'expert le rend sceptique à l'égard de la politique et des systèmes de gouvernance plus ouverts, y compris les mécanismes participatifs. Méfiant envers la participation des citoyens au niveau local, il n'est pas surprenant qu’Ahmed n'ait pas mentionné les organisations de la société civile ou les activistes, sauf lorsqu'il a parlé des bailleurs et des agences bilatérales. L'une des raisons de cette omission est la définition qu’il a donné de l'environnement. S’il n’a pas accordé pas d’importance aux activistes sur le terrain c’est précisément parce que sa définition de l'environnement demeure technique et que sa gestion relève d'une expertise ne devant pas être soumise à une consultation populaire.

LES BONNES APPARENCES À MAAMOURA

Pour le visiteur qui la découvre par une journée ensoleillée, Maamoura a tout d'une petite ville pittoresque digne d'une carte postale. Cette localité de 10 000 habitants, située au bord de l'eau, est connue pour ses campagnes de sensibilisation à l'environnement organisées en collaboration avec des organisations de la société civile. Ces dernières ont financé l'achat de poubelles pour le recyclage des déchets (Figure 2), ainsi que la distribution de sacs poubelles à code couleur pour le tri des déchets organiques et non organiques. La classification « bonnes apparences » comprend trois éléments : (i) les efforts de la municipalité qui ont abouti au nettoyage et à la fermeture définitive d’une décharge non réglementée devenue trop proche de la partie construite de la ville,  (ii) la relation de collaboration (plutôt que de confrontation) avec les organisations de la société civile, et (iii) les effets structurels limités de ces efforts, lorsqu’après le tri à la source, une partie des déchets est à nouveau mélangée et transportée à la décharge de Menzel Bouzelfa pour y être enfouie. Cela montre les limites des efforts municipaux pour mettre en œuvre des pratiques de GDS écologiquement durables quand il n'y a pas de stratégie nationale institutionnalisée pour les encadrer et les organiser en amont.

Figure 2 : Bacs de recyclage des déchets à Maamoura. Source : photo de l'auteur, décembre 2020.

De bonnes pratiques aux conséquences contraignantes

Nos interlocuteurs de la municipalité de Maamoura ont longuement évoqué les contraintes du travail municipal. Lina Chebbi, ingénieure principale responsable du département des services techniques, et Ghada Radi, secrétaire générale chargée des finances et des mécanismes de planification participative, ont confirmé que la municipalité manquait de capital humain et de ressources matérielles. Elles ont défini l'environnement comme un mandat municipal ; la prise en charge de l'environnement comprend automatiquement des tâches telles que l'hygiène et la santé publique. Elles ont également mis l'accent sur la propreté/hygiène, confirmant la réputation de Maamoura de ville propre, notoriété qu’un simple tour dans ses rues suffit à justifier. « Nous travaillons pour maintenir le niveau de propreté pour lequel Maamoura est connue », a répondu notre interlocutrice à la question sur sa compréhension de la durabilité environnementale. Pour remplir ces mandats, les municipalités ont besoin d'équipements, notamment des camions de collecte, d'argent pour assurer leur fonctionnement et leur entretien, ainsi que de ressources humaines pour fournir de bons services de GDS. L'équipe se compose de 18 personnes : des nettoyeurs de rues, des chauffeurs de camions et Lina, membre qualifiée, chargée des tâches administratives, de la résolution des problèmes sur le terrain et de tout ce qui se passe entre les deux. Mais cette équipe ne suffit pas pour remplir ces missions.

Paradoxalement, la fermeture de la décharge non contrôlée de Maamoura a entraîné une multiplication des défis de la municipalité en matière de GDS. Pour les partisans de la durabilité environnementale et des réformes de décentralisation, cette fermeture est une petite réussite. Avec le soutien de son conseil, la maire a consacré 60,000 TND du budget municipal à ce projet qui a été mené avec l'assistance technique de l'ANGED. Mais les coûts de la GDS ont augmenté en conséquence. Alors qu'avant la fermeture, les déchets étaient temporairement stockés dans la décharge non contrôlée en attendant d'être transportés une fois par semaine vers le centre de transfert, les engins doivent maintenant faire ce trajet quotidiennement, ce qui accroît les dépenses en carburant et en main-d'œuvre pour les camions de collecte et d'élimination. Même si l'ANGED subventionne ces coûts, les retards de transport au centre de transfert entraînent des délais dans la collecte et obligent la municipalité à transporter ses déchets directement à la décharge de Menzel Bouzelfa. Toutes ces données impactent considérablement les coûts de transport des déchets.

La collaboration avec les organisations de la société civile

Le nouveau rôle des organisations de la société civile (OSC) a changé la gouvernance municipale à Maamoura après la révolution. Comme l'a indiqué Ghada, les OSC à Maamoura sont actives, notamment en matière de durabilité environnementale. Juste après la révolution de 2011, en collaboration avec ces OSC, la municipalité a installé des conteneurs pour la collecte des bouteilles en plastique (figure 3). Plus récemment, une OSC a travaillé directement avec les ménages en distribuant des sacs poubelles noirs et verts pour les déchets organiques et non organiques. L'OSC a piloté ce projet avec un quartier en 2018. Lorsque nous les avons questionnés sur l’évolution de cette action, nos interlocutrices n'ont pas pu fournir de réponse, indiquant l’absence de soutien budgétaire de la part de la municipalité. Au lieu de cela, celle-ci a fourni de la main d'œuvre, transportant les déchets séparés... à la décharge. Cet exemple a démontré qu'une société civile active ne peut à elle seule apporter des changements significatifs dans les pratiques de GDS si elle travaille avec des municipalités dont les ressources financières et humaines ne suffisent pas pour capitaliser sur ces projets, et sur lesquelles pèsent des responsabilités supplémentaires en raison des réformes de décentralisation. S’ajoute le fait que les doléances des citoyens ont augmenté de manière exponentielle. Ces derniers sollicitent l’aide de la municipalité au moindre problème. Lorsque les organismes publics locaux ne trouvent pas de soutien auprès des institutions locales déconcentrées, elles se tournent vers la municipalité. Par exemple, n’ayant pas reçu de réponse de la direction régionale de l'éducation, le directeur de l'école primaire a demandé l’aide de la municipalité concernant les protocoles d'assainissement et de nettoyage de la COVID-19. Dans les faits, la municipalité partage donc ses ressources avec de multiples institutions publiques relevant de sa juridiction. Compte tenu de la rareté de ces ressources, les efforts de collaboration entre les OSC et la municipalité n’ont que des effets de « bonnes apparences ».

Figure 3 : Conteneurs pour le recyclage des bouteilles en plastique à Maamoura. Source : photo de l'auteur, décembre 2020.

LA TOXICITÉ À AGAREB

Le 26 septembre 2019, Amal Ben Ibrahim est transportée en urgence à l'hôpital de Sfax. Elle décède le matin même à la suite d'une piqûre de moustique. Amal, alors âgée de 21 ans, vivait à Agareb. Le même jour, le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et sociaux (FTDES) a publié un article mettant en lien le sa mort et l’extrême pollution à El Gonna, deuxième plus grande décharge de Tunisie située à Agareb. La pollution a tué Amal. Dans cet article, le FTDES exprimait sa solidarité avec Manish Msab (Je ne suis pas une décharge), une campagne environnementale, antérieure à la mort d'Amal, organisée par des militants d'Agareb pour défendre leur droit constitutionnel à un environnement sain. Cinq mois plus tard, le 26 février 2020, le FTDES a publié un autre article sur Agareb dénonçant le harcèlement subi par les membres de la campagne Manish Msab. La troisième étude de cas de ce rapport examine les répercussions environnementales de la décharge d'El Gonna. Elle s'appuie sur deux perspectives : le point de vue de Sami Bahri, l'un des principaux organisateurs de Manish Msab, et celui de la municipalité dans sa gestion quotidienne des problèmes environnementaux.

Une contestation pacifique et non institutionnalisée

« Nous avons opté pour des formes de contestation différentes. Nous n'avons ni brûlé les pneus ni bloqué les routes. Nous avons plutôt fait de l'art. Nous sommes des artistes. Et nous avons utilisé nos réseaux pour communiquer avec les journalistes, pour passer à la télévision, dans un épisode d’“Al Hakaek al Arbaa” (les quatre vérités) par exemple, et nous avons travaillé avec des ONG qui ont défendu notre cause. »

Telle était la réponse de Sami Bahri lorsque nous l'avons interrogé sur la campagne Manish Msab, dont il est l’un des principaux organisateurs. Sami a insisté pour parler en sa qualité d'habitant d’Agareb qui souffre de son environnement toxique. « Je vous parle en tant que Sami Bahri qui veut vivre, c'est mon droit et celui de mes enfants », a-t-il ajouté. Au cours de notre conversation, Sami a insisté sur le fait qu'il n'était pas un expert en environnement : il ne connaît pas les niveaux de toxicité, la composition du sol, la profondeur de la nappe phréatique ou les normes des filtres industriels qui devraient être installés dans toutes les usines présentes dans Agareb. Pour lui, la toxicité est un crime dont il subit les conséquences au quotidien : odeurs nauséabondes, nouveau-nés défigurés, jeunes femmes aux prises avec l'infertilité, voisins et parents mourant du cancer. L'environnement est étroitement lié à son intégrité physique et celle de ses proches. L'environnement, c'est la ville intoxiquée où il vit, l'air qu'il respire, l'eau qu'il boit, la nourriture qu'il consomme.

Contre la toxicité environnementale, Sami a choisi l’art comme mode de protestation, créant des œuvres avec les enfants et les jeunes de Agareb. Certaines de leurs activités ont même un caractère humoristique. Par exemple, ils ont organisé une séance de photos et simulé un concours de beauté de Miss Tunisie dans la décharge, faisant contraster la beauté avec la laideur, comme il l'a formulé Sami. Au marché central de Agareb, ils ont mis en vente des bouteilles remplies d’air, de terre et de roches pollués. Par le biais d'une association artistique qu'il a fondée, il a inscrit des enfants à des ateliers de cinéma mobile, leur apprenant à réaliser des films à l'aide de leurs téléphones portables. Ils ont créé du contenu sur la décharge. Sami a exprimé son profond scepticisme quant au paysage de l'activisme environnemental. Au-delà de la campagne Manish Msab, il a refusé d'institutionnaliser le mouvement de protestation environnementale et d’en faire une organisation non gouvernementale. Cela aurait entaché sa réputation, du moins c'est ce qu'il pensait. On l'aurait accusé d'encaisser des dinars en capitalisant sur la souffrance de son peuple. Il a donc choisi l'art. Désabusé par les pratiques corrompues des ONG, il a voulu laisser un héritage différent. Conscient de la temporalité distribuée de la toxicité et du mal qu'elle inflige aux corps des gens, Sami a dit :

« Je sais que je me bats contre l'État et que je ne peux pas le battre. C'est un conflit de longue haleine. J'en suis conscient. Ce que nous subissons ici est un crime, mais nous élevons une génération d'Agareb qui refuse d'être asservie à cette réalité. »

Un capitalisme extorsionnaire et des incitations perverses

La définition large que donne Sami de « l'environnement » se fonde sur son expérience du capitalisme en tant que système qui extorque les gens comme lui. Il m'a demandé :

« Si votre poissonnier à Tunis vendait de la dorade à 5 TND le kilo, l'achèteriez-vous ?25À titre d'exemple, un kilo de dorade coûte environ 15 TND. La question de Sami implique qu'un consommateur averti saurait qu'il s'agit d'un poisson impropre à la consommation humaine, ce qui rend son prix injustifiable. En me posant cette question, il a également souligné que notre position privilégiée de chercheurs issus de la classe moyenne nous permet de connaître le prix d’un kilo de dorade et de l'acheter au prix du marché. Nous sommes des “zwewla”.26À cette question, j’ai répondu que oui, les pauvres l’achèteraient. Sami a rétorqué qu’ils n’étaient pas pauvres mais plutôt « zwewla ». Après réflexion, la meilleure définition que j’ai pu trouver pour le terme « zwewla » est la suivante : personne qui s’accommode de l’injustice parce que facilement manipulable ou dupe. Si l'épicier de mon quartier vend des gâteaux à 3 TND à la veille du Nouvel An, les gens les achètent. Les aliments périmés censés être définitivement éliminés dans cette décharge reviennent dans nos magasins. Les gens les achètent, je les achète. Nous ne sommes pas des citoyens, nous ne vivons pas. »

Les déchets sont censés être transférés et enfouis définitivement dans la décharge. Mais une partie, par exemple des aliments périmés ou avariés, se retrouvent dans divers magasins d’Agareb. Sami a expliqué ce phénomène par deux formes de corruption, une qui provient de l’intérieur et une autre de l’extérieur de la décharge. La corruption à l'intérieur entraîne le transfert de déchets toxiques vers la décharge, ce qui est illégal puisqu'il existe des dispositions spéciales pour le traitement et l'élimination de ces déchets. La corruption à l'extérieur implique le transfert des aliments avariés hors de la décharge pour les revendre dans les magasins locaux. 70 à 80 employés permanents travaillent à la décharge chaque jour. Chacun d'eux peut faciliter ces deux types de corruption. Quelques semaines avant notre entretien, un membre de la campagne Manish Msab a appelé Sami. Il soupçonnait qu'un camion transportant des déchets toxiques, non autorisé dans la décharge, était en route pour vider sa cargaison. À l'aube, Sami et quelques membres de la campagne se sont rassemblés à la décharge pour empêcher l'entrée du camion : les chauffeurs du camion les ont menacés avec des couteaux. Ce scénario est l'un des nombreux cas de menaces de mort que les membres de la campagne reçoivent régulièrement en raison de leur engagement environnemental.

Plus que la crainte pour sa propre vie, ce que Sami trouvait inadmissible, c’étaient les incitations perverses que beaucoup de ses voisins en arrivaient à défendre – la présence d'activités extrêmement polluantes dans leur environnement. Dans une ville de 40 000 habitants, les moyens de subsistance de chaque famille sont liés d'une manière ou d'une autre à la décharge par l'intermédiaire des ouvriers travaillant dans la douzaine d'usines et autres installations industrielles de la ville. En plus de la décharge sanitaire, les usines exploitent de nombreuses décharges sauvages dispersées dans la ville. Pour les habitants de la ville, un mouvement environnemental opposé à ces activités industrielles polluantes constitue une menace pour leurs moyens de subsistance. Sans les usines, il n'y a pas de salaires. Les gens auraient faim. Sami a compris la gravité de ces mécanismes pervers. « Je me sens seul », c'est ainsi qu'il a résumé la difficulté de lutter contre un capitalisme extorsionnaire. Mais il n'a pas baissé les bras. Il a mis toute son énergie dans ses créations, adoptant une politique tournée vers l'avenir. Il savait que le travail qu'il faisait était destiné à ses enfants et à leur génération. Il se devait de continuer à prendre des initiatives, même si malgré tous ses efforts, il ne pouvait pas nécessairement les mener à bien.

Sami a également compris que son corps, et celui des habitants d’Agareb, y compris les ouvriers qui gagnent leur vie dans ces usines, n’ont aucune valeur. Ils constituent un excédent pour l'État tunisien moderne et mythique,27C.f. Siad Darwish et peuvent donc être sacrifiés pour soutenir sa modernité industrialisée. La préservation de l'intégrité de ces corps n'est pas une priorité pour l'État. Lors d’une conversation avec les médias, et s'adressant aux personnes au pouvoir, Sami a demandé : « Pourquoi nous, pourquoi Agareb, qu'avons-nous fait pour mériter cela ? ». Si l'État ne peut pas enlever les déchets, il se doit d’évacuer les gens hors d’Agareb », a-t-il dit.

Un problème inconsistant

Selon le point de vue de la municipalité, la gestion de la décharge est un problème de gouvernance inconsistant ; la toxicité est étouffée par le quotidien des municipalités surchargées et en sous-effectif. Considérons les propos de notre interlocuteur sur le personnel municipal à Agareb. Hani Yousfi, chef de la division des services administratifs et financiers, a déploré le manque de qualification des derniers membres du personnel embauchés, et que la municipalité a hérité de la délégation (mu'tamadiyah).28Les délégations sont les plus petites entités territoriales déconcentrées du gouvernement tunisien, tandis que les municipalités sont les entités décentralisées du gouvernement tunisien. Les délégations et les municipalités, sont dans la plupart des cas, mais pas dans tous, des entités qui se chevauchent territorialement et qui sont géographiquement contiguës (mêmes frontières). Cette situation n'est pas spécifique à Agareb. En fait, la pénurie de capital humain constitue un problème commun aux municipalités tunisiennes luttant pour répondre aux attentes des citoyens, dans l’ère postrévolutionnaire. Ce manque de personnel qualifié est paradoxalement associé à une masse salariale dépassant souvent la moitié du budget opérationnel de la municipalité. Comme d'autres à travers le territoire, la municipalité a été contrainte de les embaucher parce qu'ils étaient des « cas sociaux », expression utilisée pour qualifier les travailleurs précaires ayant souvent des personnes à charge. Mais la différence dans le cas d'Agareb était que la moitié des « cas sociaux » embauchés souffraient de handicaps physiques ou mentaux.

« Le garçon de bureau qui vient de vous apporter votre café est sous antipsychotiques, un concierge que nous avons engagé souffre de diabète, un autre s'est évanoui en nettoyant la rue l'autre jour. Nous sommes partis en guerre et nous devons maintenant la gagner avec une armée souffrante », a expliqué Hani.

Pour notre interlocuteur, l’expérience du travail municipal s’apparente au fait de « partir en guerre », un travail extrêmement contraignant. Telle est la norme, tout expert en gouvernance municipale qui a accompagné les réformes de décentralisation en Tunisie vous le dira. En effet, la plupart des administrateurs municipaux doivent désormais répondre aux conseils municipaux élus, rassembler de multiples sources de financement pour subvenir aux besoins d'investissement croissants, rester à l’écoute des doléances des citoyens, tout en entretenant des relations peu coopératives avec les institutions centralisées. Mais ce qui diffère dans le cas d’Agareb, c'est la description du personnel de la municipalité comme une « armée souffrante », car cette expression n’est pas à prendre au sens figuré : l'intégrité corporelle des employés municipaux de Agareb est compromise. À plusieurs reprises au cours de notre conversation, Hani a répété que la moitié de leur personnel, les anciens et les nouveaux embauchés, étaient « handicapés ». Mais pas une seule fois Hani n'a fait un lien direct entre ces maux, les « handicaps » affectant les corps des employés municipaux, et la toxicité du sol, de l'eau et de l'air de Agareb, car cette toxicité n'avait pas vraiment infiltré leur environnement. « Agareb a un sol argileux qui n'absorbe pas les déchets », a expliqué Hani au cours de notre conversation. Notre deuxième interlocuteur, Abir Ghazelah, une conseillère municipale engagée dans les campagnes de Manish Msab, a soutenu son affirmation. Il est important de noter qu’aucun d’eux n'a utilisé le terme « toxicité » concernant Agareb ou la décharge.29Il est rare que les personnes interrogées au sein des agences gouvernementales adoptent un point de vue négatif, lors d'un premier entretien avec un chercheur. Je ne peux pas savoir si les interlocuteurs considèrent l’imperméabilité du sol argileux comme un fait scientifique ou si c’était un prétexte pour justifier la présence d'une décharge toxique auprès de deux chercheurs.30Je ne crois pas non plus qu'il appartienne au chercheur de vérifier la véracité des affirmations de ses interlocuteurs. En revanche, cet échange nous éclaire sur la perception qu’ont Hani et Abir de la toxicité qui selon eux n’atteint pas les corps des gens. La décharge est un problème externe ou extériorisé, et qui n’impacte pas la vie quotidienne des individus.

Une responsabilité institutionnelle diffuse

« La situation environnementale est mauvaise mais il y a une volonté de l'améliorer », a affirmé Hani, dix minutes après le début de notre conversation. Il n'a jamais mentionné la pollution, ce qui indique une prudence dans le choix des mots puisque la pollution suppose l’existence de pollueurs devant être identifiés. Hani a poursuivi en expliquant comment la grande zone industrielle de Agareb a construit la ville. Les gens ont afflué des régions voisines pour travailler dans les usines, mais « cela a un prix ». La question la plus litigieuse concerne la décharge sanitaire d'El Gonna qui dessert la municipalité de Sfax, le centre industriel du pays. El Gonna est également la destination finale de 80% des déchets produits par les 23 municipalités du gouvernorat de Sfax. La décharge est située dans une zone verte, devenue une réserve naturelle après la création de la décharge. En tant que telle, elle relève institutionnellement du ministère de l'Agriculture mais elle est gérée par l'ANGED, sous la tutelle du ministère de l'Environnement. Créée en 1998, El Gonna était censée fonctionner pendant une période de 15 ans. Une décision de fermeture de la décharge a été rendue en 2019. Compte tenu de ce verdict, à l'heure actuelle, la décharge fonctionne de manière illégale. Aussi, en 2019, pour accélérer la fermeture de la décharge, la municipalité a décidé de fermer définitivement la décharge. Mais le gouverneur représentant l'État déconcentré dans la région a remis en question la légitimité de cette décision, accusant la municipalité d'empiéter sur une question d'intérêt national. La décharge relève, en effet, d’une institution centrale que la municipalité de Agareb n'avait pas à gérer.

Pour Hani, la campagne Manish Msab est un mouvement de protestation contre la fermeture échelonnée de la décharge, avec des résolutions élusives et un résultat qui se fait toujours attendre. La municipalité partage une même position en soutenant pleinement ses membres dans ce qu'elle perçoit comme des revendications légitimes des citoyens. Se vantant de son rôle de médiateur, Hani a conclu que « la municipalité a géré cette crise avec succès ». Dans d'autres municipalités, les forces de police seraient intervenues pour réprimer les manifestants et se seraient déchaînées contre les dissidents. Mais la municipalité d'Agareb a défendu ses « enfants » pour deux raisons. Premièrement, leurs revendications étaient légitimes. Deuxièmement, leur lutte n'était pas contre la municipalité, mais contre l’absence de perspectives de développement et contre les puissants hommes d'affaires possédant et dirigeant des usines à Sfax et Agareb. Pourquoi alors les gens manifestaient-ils contre l'État local devant la mu'tamadiyah et la municipalité ? Selon Hani, le paysage institutionnel complexe a provoqué un éparpillement concernant la responsabilité de l'exploitation et de la fermeture de la décharge et, ce faisant, a transformé le conflit. Au lieu d'une confrontation entre les citoyens et les industriels, ce qui est apparu, c’est un désaccord entre les institutions étatiques : le local contre l'État central.

Une bonne gouvernance au milieu de la toxicité

Comme d'autres municipalités qui ont vu leurs limites s'étendre après la municipalisation de l'ensemble du territoire en 2014, la municipalité de Agareb s’est retrouvée face à l’obstacle des ressources. Sept délégations, abritant 25 000 résidents, ont été ajoutées à son territoire municipal. Celles-ci ont pu exprimer leurs doléances, sans rapport avec la pollution industrielle, lors des réunions annuelles de planification participative que la municipalité organise pour hiérarchiser les investissements. Abir, qui dirige le comité de planification participative, a dressé un bilan positif de cette expérience. Désormais, dit-elle, même si un habitant d'Agareb vit dans une zone rurale,31Avant l'extension des municipalités sur l'ensemble du territoire, les zones qui en étaient dépourvues, disposaient de conseils ruraux, perçus comme moins efficaces dans la prestation de services, car ils étaient nommés par le pouvoir central de même leurs budgets étaient entièrement décidés par ce dernier. l’accès à une route pavée lui est possible. Leur expérience de la participation est une réussite ; les citoyens déterminent les priorités d'investissement municipal et obtiennent ce qu'ils ont demandé. Le budget de Agareb pour les investissements locaux (services de proximité : éclairage des rues, pavage des routes et embellissement des espaces verts) est passé de 750,000 TND en 2019 à 1,950,000 TND en 2020. En outre, la municipalité dispose d'un budget de 6,000,000 TND32Les investissements locaux vs. les investissements structurels désignent une classification des projets d'investissement municipaux que les municipalités ont adoptée en 2014 avec Programme de développement urbain et de gouvernance locale de la Banque mondiale, et prolongée en 2019 avec un financement supplémentaire jusqu'en 2023. pour les investissements structurels, un budget considérable pour une municipalité de cette taille. En effet, en termes de comparaison, Agareb est une municipalité riche car elle abrite plusieurs installations industrielles. Si, comme l'a mentionné Hani, leur implantation à Agareb « a un prix », pourquoi ne pas prendre ce mot « prix » dans son sens littéral pour rentabiliser, au lieu, sur les coûts ? Si la municipalité utilise les dispositions de la CCL pour taxer les industries polluantes, elle pourrait probablement multiplier ce budget et l'utiliser pour fermer la décharge, comme l'a fait la municipalité de Maamoura pour sa décharge sauvage. Les technologies de calcul pourraient également servir comme forme de dissidence.

La municipalité de Agareb a abordé le problème de la décharge d'El Gonna suivant les procédures technocratiques standard. Le personnel municipal a soulevé la question des contradictions dans les mandats institutionnels et du manque de soutien des entités centralisées, y compris du gouvernorat et des ministères concernés. À la question de Sami « pourquoi nous », pourquoi la décharge de Agareb dessert, à elle seule, l’ensemble du gouvernorat de Sfax, Hani a fourni une réponse technique, sans lien avec la politique du deux poids deux mesures lorsqu’il s’agit des corps des individus. Sa réponse technique portait sur la non-perméabilité du sol argileux d’Agareb. Comme il l’a exprimé, « la décharge ici n'est pas volontaire » mais plutôt un choix adapté à la nature du sol de la ville. Malgré l’évaluation correcte qu’il a donnée, reliant le problème de la décharge à l’importance d’El Gonna pour les puissants industriels pollueurs, son approche était outrageusement dépolitisée. Sa conception fait du pouvoir l’apanage d’une bureaucratie amorphe et gargantuesque à laquelle une petite municipalité ne peut s'opposer. Ce décalage entre l’évaluation du problème et sa résolution réside dans la différence des définitions de « l’environnement ». Pour les fonctionnaires municipaux comme Hani, le problème de la décharge n’a pas de consistance car l'environnement n’existe que « là-bas ». Alors que pour Sami et d'autres militants de l'environnement, l'environnement est quelque chose qu'ils ingèrent. Il les rend malades. Il menace l'intégrité de leurs corps et de ceux des personnes qui leur sont chères. Lutter pour un environnement sain devient alors urgent, même si, comme le mentionne Sami, la lutte contre l'État est insurmontable.

Conclusion

Les études de cas explorées dans ce rapport montrent que si la question de GDS se pose sur un niveau local, elle cristallise les intérêts économiques nationaux et les luttes politiques. Bien que les municipalités soient souvent accusées de manquement face aux problèmes de GDS, leur rôle dans le secteur dépend des ressources physiques et humaines, qui font toutes deux défaut dans de nombreuses municipalités. Théoriquement, les réformes de décentralisation offrent aux municipalités un levier important en termes de protection de l'environnement, comme la capacité de taxer les activités polluantes. Toutefois, les municipalités ne peuvent pas nécessairement user de ces dispositions. Les trois cas explorés dans ce rapport, à savoir la bonne gouvernance, les bonnes apparences et la toxicité, illustrent les défis pratiques auxquels les municipalités sont confrontées, pour résoudre les problèmes environnementaux résultant de la GDS. Dans le cas extrême d’Agareb, la décharge a provoqué une toxicité menaçante pour l'intégrité corporelle des militants. Manish Msab a été la campagne de justice environnementale menée contre cette toxicité. D'une certaine manière, cette campagne démontre la « violence lente » dont souffrent les pauvres au quotidien. La municipalité de Agareb a soutenu la campagne, mais en pratique, elle n'a pas fait grand-chose pour lutter au nom des citoyens et trouver des solutions radicales aux problèmes environnementaux.

Fondamentalement, ce rapport établit une relation entre la gouvernance locale, les dimensions politico-économiques de la modernisation des activités industrielles, et la négligence du corps du tunisien pauvre après la révolution. Si les manifestations qui ont secoué le pays en janvier 2021 cristallise les besoins d'une génération de jeunes qui ont atteint leur majorité dans le sillage de la révolution, alors les questions de dommages environnementaux et de toxicité doivent acquérir la même importance que la création d'emplois ou les filets de sécurité sociale pour le soutien des plus vulnérables. En effet, à quoi sert d’offrir des emplois s’ils dégradent l'environnement et tuent des gens ?

Il y a, évidemment, une limite aux conclusions tirées des trois études de cas, lesquelles ne sont pas représentatives de toutes les municipalités du territoire. Mais ces résultats ouvrent la voie à une étude approfondie des municipalités où se trouvent actuellement les neuf décharges contrôlées de Tunisie. Celle-ci pourrait inclure une analyse plus fine des doléances des citoyens concernant les décharges situées dans leurs juridictions, et la manière dont les municipalités y répondent. Il serait également utile de déterminer les raisons du choix spécifique de ces municipalités pour accueillir la décharge (régime foncier, pauvreté, allégeances politiques, etc.). D'autres questions pourraient porter sur l'activité des organisations environnementales dans ces municipalités, ses causes et ses effets. Quelle que soit la piste privilégiée pour une future étude, il est nécessaire de la rapporter à un niveau local et de rester attentif aux dimensions juridiques des problèmes environnementaux.

Remerciements

L’auteure tient à remercier Zied Boussen, chercheur à l’Arab Reform Initiative, pour avoir organisé la logistique du travail de terrain sur lequel cette analyse est basée ainsi que pour l’avoir accompagnée à tous les entretiens, et Chaima Bouhlel, qui a inspiré la discussion sur Labib , a lu une version antérieure de ce rapport et a fourni des commentaires utiles.

Annexe 1 : guide de l’entretien

Ceci est une traduction des questions que nous avons posées en arabe tunisien. Les questions ont orienté la conversation mais nous nous en sommes parfois écartés en abordant des sujets qui intéressaient nos interlocuteurs.

La conversation avec Sami Bahri était ouverte et guidée par une question générale : parlez-nous de la décharge.

Introduction : qui nous sommes, l'objectif de l'étude, la permission d'enregistrer.

  • Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours, depuis combien de temps travaillez-vous à la municipalité, où étiez-vous avant, quelle est votre formation ?
  • Au cours de cette période, qu'est-ce qui a changé dans le travail municipal ? Qu'est-ce qui s'est amélioré ? Qu'est-ce qui s'est détérioré ?
  • Quelle est votre compréhension de la durabilité environnementale ? Quelle est votre conception du développement environnemental ? Quelle est la relation entre les deux selon vous ?
  • Selon vous, la décentralisation a-t-elle aidé les municipalités à gérer les questions environnementales de manière plus durable ? Comment ? Et si non, pourquoi ?
  • La participation est désormais un pilier de la gouvernance locale inscrit dans la constitution. La gouvernance participative a-t-elle amélioré la gestion financière de la municipalité ?
  • Parlez-moi un peu du comité pour l'environnement, l'hygiène et la santé publique. Qui en sont les membres, quelles sont ses responsabilités ? Quels sont les aspects les plus difficiles de son travail ?
  • Pouvez-vous me parler des défis les plus courants dans la chaîne d'approvisionnement de la GDS ?
  • Y a-t-il des quartiers populaires dans cette municipalité ? Ont-ils un impact sur les pratiques de GDS ? Comment ?
  • Comment sont vos relations avec les municipalités voisines ? Est-ce que vous vous coordonnez entre vous pour résoudre les problèmes environnementaux communs ?
  1. Qu'est-ce qui pourrait améliorer les conditions environnementales dans votre municipalité ?
  2. Avez-vous des questions à nous poser ?

Endnotes

Endnotes
1 Déchets divers incluant des ordures ménagères, et potentiellement dangereux.
2 Voir l’article (en arabe) publié par Kapitalis le 3 novembre 2020 https://rb.gy/q5hmj1
3 Simon Speakdman Cordall, Le ministre tunisien licencié et arrêté dans un scandale concernant des déchets illégaux en provenance d’Italie », 28 decembre 2020, https://bit.ly/2RRB0zH
4 « Déchets italiens illégaux en Tunisie : plusieurs hauts responsables interpellés » France 24, 21 décembre 2020, https://bit.ly/3eks39B
5 Nawaat est un blog collectif indépendant fondé en 2004 qui propose des essais journalistiques de qualité sur la politique tunisienne.
6 Nour El Houda Chaabane, « La décharge de Borj Chakir : Corruption endémique et cadres institutionnels inadéquats », Nawat, 15 mai 2015, https://nawaat.org/2015/05/15/decharge-de-borj-chakir-corruption-cadre-institutionnel-inadequat/
7 Borj Chakir est censé fermer en juin 2021, selon l'ancien ministre des Affaires locales et de l'environnement, Mokhtar Hammami : https://www.afrik21.africa/en/tunisia-government-will-shut-down-borj-chakir-landfill-in-two-years-time/
8 Abdelfattah Amor est juriste, universitaire et spécialiste du droit public. En 2011, il a été nommé président de la Commission Nationale d’établissement des faits sur les affaires de Malversation et de Corruption.
9 Décret numéro 2005-2317, 22 août 2005, JORT.
10 La cartographie de l'ensemble de la chaîne montre que les questions de GDS ne peuvent être dissociées des producteurs d'emballages et autres déchets. Toute politique de GDS doit être plus englobante sur le plan conceptuel afin d’inclure ces derniers et ne rien cacher de la politique de la fuite en avant qu’ils adoptent lorsqu’il s’agit de la GDS.
11 Rob Nixon. Slow Violence and the Environmentalism of the Poor. Harvard University Press, 2011.
12 « a violence that occurs gradually and out of sight, a violence of delayed destruction that is dispersed across time and space, an attritional violence that is typically not viewed as violence at all. » (Nixon 2011, 2
13 L'entretien à la municipalité de Maamoura a été enregistré sur support audio. Pour le reste, Lana et Zied ont pris des notes détaillées et complémentaires. À l'exception de l'activiste de la société civile de la campagne Manish Msab, j'utilise des pseudonymes pour préserver l’anonymat de nos interlocuteurs. Le guide d'entretien figure à l'annexe 1.
14 Le ministère des Affaires locales et de l'environnement travaille actuellement sur une stratégie soutenue par l'USAID.
15 La chaîne pourrait être étendue pour inclure les producteurs responsables de la conception des emballages jetables. Cependant, une analyse détaillée de cette chaîne n'entre pas dans le cadre de cette étude.
16 Le développement durable est mentionné dans le préambule du CCL et dans les articles : 75, 106, 109, 119, 120, 124, 296 et 125.
17 L'environnement est défini dans la loi n°88-91 du 2 août 1988 portant sur la création de l'Agence Nationale pour la Protection de l'Environnement (ANPE). L'article 2 de la loi stipule : « On entend par environnement, dans le cadre de la présente loi, le monde physique comprenant le sol, l'air, l'eau, les eaux souterraines et de surface (cours d'eau, lagunes et lacs), les espaces naturels, les paysages et les sites, ainsi que les mammifères, les plantes et en général l'ensemble du patrimoine national ». Traduction de l'auteur.
18 Voir World Bank, Project Appraisal Document, Sustainable Municipal Solid Management Project, 12 février 2007.
19 Voir https://www.resource-recovery.net/sites/default/files/tunisie_ra_fr_web.pdf.
20 Le FODEP a été créé en 1992, son utilisation a été fixée par décret en 2005, voir http://www.anpe.nat.tn/Fr/fodep_11_52 . Ses fonds sont alloués au Programme national de propreté et d'embellissement
21 Siad Darwish, « “Country of Rubbish”: Waste and the Environmental Legacies of Authoritarianism in Post-revolutionary Tunisia », thèse de doctorat non publiée, Rutgers, The State University of New Jersey, 2017.
22 Une étude de l’Agence de coopération internationale allemande pour le développement (GIZ) en avril 2014 montre une baisse du nombre de points de collecte et des revenus d'ECO-Lef, ce qui indique une potentielle corruption dans le secteur de la valorisation des déchets. Les revenus d'ECO-Lef devraient théoriquement servir à financer la gestion des neuf décharges contrôlées du pays. https://www.resourcerecovery.net/sites/default/files/tunisie_ra_fr_web.pdf
23 Un autre exemple de réformes sectorielles infructueuses concernant le projet de tri sélectif de Djerba est le partenariat entre le ministère du Tourisme et le ministère des Affaires locales et de l'Environnement signé en accord le 12 février 2019 pour réduire les déchets sur l'île de Djerba. Le programme n'a jamais été mis en œuvre.
24 Tunisia Integrated Disaster Resilience Program (P173568), Program Information Document (PID), 22 juin 2020, Rapport Numéro PIDC225236
25 À titre d'exemple, un kilo de dorade coûte environ 15 TND. La question de Sami implique qu'un consommateur averti saurait qu'il s'agit d'un poisson impropre à la consommation humaine, ce qui rend son prix injustifiable. En me posant cette question, il a également souligné que notre position privilégiée de chercheurs issus de la classe moyenne nous permet de connaître le prix d’un kilo de dorade et de l'acheter au prix du marché.
26 À cette question, j’ai répondu que oui, les pauvres l’achèteraient. Sami a rétorqué qu’ils n’étaient pas pauvres mais plutôt « zwewla ». Après réflexion, la meilleure définition que j’ai pu trouver pour le terme « zwewla » est la suivante : personne qui s’accommode de l’injustice parce que facilement manipulable ou dupe.
27 C.f. Siad Darwish
28 Les délégations sont les plus petites entités territoriales déconcentrées du gouvernement tunisien, tandis que les municipalités sont les entités décentralisées du gouvernement tunisien. Les délégations et les municipalités, sont dans la plupart des cas, mais pas dans tous, des entités qui se chevauchent territorialement et qui sont géographiquement contiguës (mêmes frontières).
29 Il est rare que les personnes interrogées au sein des agences gouvernementales adoptent un point de vue négatif, lors d'un premier entretien avec un chercheur.
30 Je ne crois pas non plus qu'il appartienne au chercheur de vérifier la véracité des affirmations de ses interlocuteurs.
31 Avant l'extension des municipalités sur l'ensemble du territoire, les zones qui en étaient dépourvues, disposaient de conseils ruraux, perçus comme moins efficaces dans la prestation de services, car ils étaient nommés par le pouvoir central de même leurs budgets étaient entièrement décidés par ce dernier.
32 Les investissements locaux vs. les investissements structurels désignent une classification des projets d'investissement municipaux que les municipalités ont adoptée en 2014 avec Programme de développement urbain et de gouvernance locale de la Banque mondiale, et prolongée en 2019 avec un financement supplémentaire jusqu'en 2023.

Les opinions représentées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’Arab Reform Initiative, de son personnel ou de son conseil d'administration.