Le Hirak algérien à quatre ans du 22 février 2019 : entre répression judiciaire et renforcement de l’ordre autoritaire

Les forces de l'ordre entourent un site où se rassemblent des étudiants et des citoyens pour manifester suite à l’appel du Hirak contre les élections parlementaires prévues le 12 juin – Alger, Algérie, 16 mars 2021. ©Mousaab Rouibi/Anadolu Agency 

À quatre ans de distance des premières marches du Hirak, où par millions les Algériens étaient sortis pacifiquement, à partir du 22 février 2019, contre le cinquième mandat du président Bouteflika et plus généralement pour un « changement radical de système », la rue algérienne est redevenue silencieuse. Encore récemment, en décembre 2022, l’un des derniers médias d’opposition, Radio M, était mis sous scellés1Karim Amrouche, « Dernier espace médiatique libre en Algérie, le siège de Radio M a été mis sous scellés », Le Monde, 25 déc. 2022. et son président, Ihsane El Kadi, placé en détention provisoire2« En Algérie, Ihsane El-Kadi, directeur de Radio M et de Maghreb Emergent, en détention provisoire », Le Monde avec AFP, 29 déc. 2022.  ; alors qu’en janvier 2023, après plusieurs condamnations à de la prison ferme, l’opposant Rachid Nekkaz annonçait son retrait de la vie politique3Ryad Hamadi, « Rachid Nekkaz annonce qu’il “arrête la politique” », TSA, 2 janv. 2023.  ; tandis que la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) apprenait qu’elle avait été dissoute six mois plus tôt4« En Algérie, les autorités dissolvent la principale ONG de défense des droits humains », Le Monde avec AFP, 23 janv. 2023. . Encore récemment, en février 2023, Amira Bouraoui, figure du mouvement Barakat5Mouvement opposé au quatrième mandat du président Bouteflika. et du Hirak, fuyait l’Algérie, en outrepassant une interdiction de sortie du territoire qui pesait sur elle6Madjid Zerrouky, « L’opposante franco-algérienne Amira Bouraoui, réfugiée à Tunis, rejoint la France après avoir échappé à une expulsion vers l’Algérie », Le Monde, 6 févr. 2023. . Ce renforcement de l’ordre autoritaire, est la conséquence d’une répression tous azimuts inaugurée à partir du mois de juin 2019 et confortée, tant par la mobilisation d’une législation liberticide que d’une révision constitutionnelle autoritaire, dans une politique judiciaire visant d’abord à contenir le Hirak puis à y mettre un terme.

En effet, après que le président Bouteflika eut démissionné, le 2 avril 2019, la rue algérienne avait maintenu sa mobilisation, en rejetant l’intérim présidentiel prévu par la Constitution, selon laquelle un nouveau président de la République devait être élu sous 90 jours (2016, art. 102, al. 6), au risque d’élire un président disposant des mêmes pouvoirs exorbitants que le président démissionnaire et plus généralement au risque d’une reconduction du système politique en place7Pour une synthèse sur les blocages institutionnels de l’année 2019 en Algérie : v. Mouloud Boumghar, « Le gant constitutionnel réversible : accessoire de l’uniforme militaire. Regard critique sur la crise constitutionnelle algérienne de 2019 », L’Année du Maghreb, 21 | 2019, pp. 69-88 ; Mohamed Boussoumah, « L’effet boomerang de la candidature du Président A. Bouteflika à un cinquième mandat », RASJEP, vol. 58, n° 4, pp. 438-466 ; et Massensen Cherbi, « Les mécanismes constitutionnels de l’autoritarisme algérien face au Hirak », Mouvements, vol. 102, n° 2, juin 2020, pp. 166-176. . Pour ce faire, les manifestants brandissaient les articles 7 et 8 de la Constitution, relatifs à la souveraineté populaire, contre l’article 102, relatif à l’intérim présidentiel. Le chef d’État-major et vice-ministre de la Défense, le général Ahmed Gaïd Salah, resta cependant inflexible dans sa volonté d’organiser une élection présidentielle, ce qui fit émerger la revendication d’un « État civil, non militaire », notamment à partir du 10 mai 20198V. Massensen Cherbi, « L’armée algérienne face à la revendication d’un “État civil, non-militaire” », Confluences Méditerranée, vol. 122, n° 3, oct. 2022, pp. 77-98. .

Le chef d’État-major rejeta ainsi toute transition démocratique, le 18 juin, en excipant le risque d’un « vide constitutionnel »9« Gaïd Salah met en garde contre les objectifs “ambigus” de ceux qui veulent geler la Constitution », APS, 18 juin 2019. , avant d’ouvrir la voie à la répression, le lendemain 19 juin, au prétexte de l’emblème amazigh10« Gaïd Salah met en garde contre ceux brandissant des drapeaux autres que l’emblème national », APS, 19 juin 2019. , c’est-à-dire dans une politique du diviser pour mieux régner. La répression devait rapidement s’étendre à l’ensemble du Hirak. Pour ce faire, les autorités pouvaient s’appuyer sur un arsenal répressif demeuré intact, à défaut de transition démocratique, et au sein duquel figuraient des dispositions remontant jusqu’à l’ère du parti unique, à travers les incriminations d’atteinte à l’intégrité de l’unité nationale (C. pén., art. 79) ou d’atteinte à l’intérêt national (C. pén., art. 96), issues du Code pénal de 1966, tel qu’amendé en 1975 ; des dispositions héritées de la Décennie noire, à travers la nécessité d’une autorisation préalable pour pouvoir manifester, introduite par la loi n° 91-19 du 2 décembre 1991, l’incrimination de terrorisme, introduite par le décret législatif n° 92-03 du 30 septembre 1992 (C. pén., art. 87 bis), ou bien la restriction du multipartisme, dès l’ordonnance n° 97-09 du 6 mars 1997 ; et enfin des dispositions issues des Printemps arabes, notamment à travers la restriction de la liberté associative, par la loi n° 12-06 du 12 janvier 2012.

C’est dans ce cadre répressif que put finalement être organisée l’élection présidentielle du 12 décembre 2019, marquée par un record officiel d’abstention, près de 60 %11Proclamation n° 03/P.CC/19 du 16 déc. 2019 portant résultats définitifs de l’élection du Président de la République, JORA n° 78 du 18 déc. 2019, pp. 16-19. Ce taux fut d’ailleurs contesté : Nabila Amir, « Le RCD s’offusque du comportement du pouvoir : “Le taux de participation réel à la présidentielle n’a pas dépassé les 8 %” », El Watan, 15 déc. 2019. , et au terme de laquelle Abdelmadjid Tebboune, plusieurs fois ministre du président Bouteflika, devint à son tour président de la République. Il initia, dès le 11 janvier 2020, une révision constitutionnelle, non par la convocation d’une Assemblée constituante, mais par la réunion d’un comité d’experts dont il avait nommé tous les membres12Décret présidentiel n° 20-03 du 11 janv. 2020 portant création d’un comité d’experts chargé de formuler des propositions pour la révision de la Constitution, JORA n° 02 du 15 janv. 2020, p. 7. . Celui-ci aboutit à un premier avant-projet, diffusé le 7 mai 2020, après quoi le comité reçut 5018 propositions13Comité d’experts chargé de formuler des propositions pour la révision de la Constitution, Propositions présentées dans le cadre du débat général autour du projet de révision de la Constitution, 5 sept. 2020, 1231 p. , essentiellement en provenance d’organes ou de personnalités proches des autorités. Ces propositions furent l’occasion d’un nouveau projet, publié le 5 septembre suivant, adopté en Conseil des ministres, puis par les deux chambres d’un Parlement dont les membres avaient essentiellement été élus ou nommés sous l’ancien président Bouteflika. Un référendum fut alors organisé, le 1er novembre 2020, marqué à nouveau par un record officiel d’abstention, près de 76 %14Proclamation n° 01/P.CC/20 du 12 nov. 2020 portant résultats définitifs du référendum du 1er nov. 2020 sur le projet de révision de la Constitution, JORA n° 72 du 3 déc. 2020, pp. 4-5. , après quoi la révision fut promulguée le 30 décembre suivant15Décret présidentiel n° 20-442 du 30 déc. 2020 relatif à la promulgation au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire de la révision constitutionnelle, adoptée par référendum du 1er nov. 2020, JORA n° 82 du 30 déc. 2020, pp. 2-49. V. Massensen Cherbi, « La révision constitutionnelle de 2020 en Algérie : un ultra-présidentialisme militarisé de jure », ISSRA, avr. 2021, 9 p. . L’armée est dorénavant proclamée garante des « intérêts vitaux et stratégiques du pays » (art. 30, al. 4), tandis qu’il est désormais possible de déroger aux droits et libertés constitutionnels, par une loi, afin de préserver l’ordre public, la sécurité et les constantes nationales (art. 34, al. 2).

Entre-temps, la pandémie de la Covid 19 avait contraint le Hirak à suspendre ses marches, et c’est dans le contexte du confinement que deux nouvelles lois répressives furent promulguées, le 28 avril 2020, notamment afin d’introduire dans le Code pénal l’incrimination de « fake news » (C. pén., art. 196 bis) et le « délit de solidarité » (C. pén., art. 95 bis). Si les marches reprirent, dès le mois de février 2021, les autorités y mirent un terme, à quelques semaines des élections législatives du 12 juin 202116Ces élections furent à nouveau marquées par un taux officiel d’abstention record : « Législatives : le taux de participation s’établit à 23 % », APS, 23 juin 2021. , en rappelant, le 20 mai précédent, la nécessité d’une autorisation préalable pour pouvoir manifester, après quoi le président promulgua l’ordonnance n° 21-08 du 8 juin 2021, par laquelle il étendit la qualification de terrorisme à tout acte visant à « accéder au pouvoir ou […] changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels » (C. pén., art. 87 bis 14).

Dès lors, dans quelle mesure, ces dispositions, tant constitutionnelles que législatives, et la répression judiciaire qui en est issue, ont-elles permis une démobilisation du Hirak et un renforcement de l’ordre autoritaire ?

Les dispositions législatives appliquées à l’encontre du Mouvement ont permis à la fois d’en prévenir l’organisation et d’en réprimer l’expression (I), tandis que la révision constitutionnelle de 2020 a permis non seulement de légitimer ces dispositions, mais aussi de répondre aux problèmes institutionnels de l’année 2019, au profit des autorités (II).

1. La répression judiciaire du Hirak : un facteur déterminant de la démobilisation du Mouvement

La répression judiciaire a rendu toute organisation du Mouvement impossible, en raison des restrictions touchant tant les libertés collectives (A) que les libertés individuelles (B).

A. Une organisation impossible du Mouvement : les restrictions exorbitantes aux libertés de manifestation, d’association et au multipartisme

Si les marches du vendredi, depuis le mois de février 2019, étaient tolérées, elles n’en demeuraient pas moins illégales. En effet, depuis la grève insurrectionnelle du Front islamique du salut (FIS), de mai-juin 1991, le droit de manifester ne relève plus d’une déclaration préalable mais d’une autorisation préalable, en vertu de la loi n° 91-19 du 2 décembre 199117Loi n° 91-19 du 2 déc. 1991 modifiant et complétant la loi n° 89-28 du 31 déc. 1989 relative aux réunions et manifestations publiques, JORA n° 62 du 4 déc. 1991, pp. 1946-1948. (art. 15, al. 2), à défaut de quoi les manifestants s’exposent à des poursuites pour attroupement non armé (C. pén., art. 98) et provocation directe à attroupement non armé (C. pén., art. 100). Si ces dispositions servirent d’abord de fondement à la répression des marches organisées hors du vendredi, voire du mardi des étudiants, les autorités publièrent, le 20 mai 2021, alors que les marches avaient repris depuis le mois de février précédent, un communiqué rappelant la nécessité d’une autorisation préalable pour pouvoir manifester, y compris le jour du vendredi18« Marche de vendredi : le ministère de l'Intérieur dément avoir reçu une demande d’autorisation », APS, 20 mai 2021. , après quoi la capitale et l’ensemble du pays n’ont plus connu de marches. C’est dans ce cadre que la cour d’Alger condamna, le 22 mars 2022, le coordinateur du Mouvement démocratique et social (MDS), Fethi Ghares, à un an de prison, dont six mois avec sursis, en partie pour provocation directe à attroupement non armé, du seul fait d’avoir appelé à continuer le Hirak19C. Alger, Fethi Ghares, 22 mars 2022, n° 22/00967. .

Quant à la société civile, elle avait hérité d’un tissu associatif profondément affaibli, en raison des restrictions introduites par la loi n° 12-06 du 12 janvier 201220Loi n° 12-06 du 12 janv. 2012 relative aux associations, JORA n° 2 du 15 janv. 2012, pp. 28-34. , afin de prévenir la « contagion » des Printemps arabes, ce qui avait conduit à une diminution par deux du nombre d’associations21Madjid Makedhi, « Loi sur les associations : Des ONG veulent mettre fin à l’arbitraire », El Watan, 6 oct. 2018. . En contexte de Hirak, cette loi servit de fondement au tribunal administratif d’Alger pour dissoudre, le 13 octobre 2021, l’association Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), fondée en 1992, du seul fait d’avoir reçu à son siège des militants tunisiens des droits humains, sans l’autorisation préalable des autorités compétentes (art. 23)22TA Alger, Association nationale Rassemblement Actions Jeunesse, 13 oct. 2021, n° 2101798. , mais aussi à la dissolution, le 29 juin 2022, de la LADDH, association pourtant agréée depuis 1989, sur le même fondement susmentionné (art. 23), en raison de ses liens avec des associations étrangères, sans l’autorisation préalable nécessaire, mais aussi pour ne pas avoir transmis à l’autorité compétente certaines formalités administratives (art. 18 et 19) et pour avoir exercé des activités autres que celles prévues par ses statuts, notamment en raison de publications sur les réseaux sociaux dénonçant la répression des marches du Hirak ou encore pour avoir pris la défense de la minorité religieuse ibadite (art. 43)23TA Alger, Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, 29 juin 2022, n° 22/01423. . Sur un plan indirect, plusieurs dirigeants associatifs investis dans le Mouvement furent condamnés à de la prison ferme, qu’il s’agisse du président de l’association SOS Bab el-Oued, Nacer Meghnine24C. Alger, Nacer Meghnine, Kamel Slimani, Abderrahmane Moussa, Zahir Bouzid, 14 nov. 2021, n° 21/13231. , du secrétaire général honoraire de l’association RAJ, Hakim Addad25T. Sidi M'hamed, Hakim Mohamed Addad, 8 juill. 2021, n° 20/04884. ou encore de son président en exercice, Abdelouahab Fersaoui26C. Alger, Abdelouahab Fersaoui, 17 mai 2020, n° 20/05630. .

Le Hirak ne put pas non plus trouver d’appui dans les partis politiques. En effet, ceux qui avaient boycotté les différents scrutins organisés par les autorités, depuis celui du 12 décembre 2019, firent l’objet de poursuites judiciaires ou d’intimidations. Pour ce faire, les autorités bénéficient de la loi relative aux partis politiques, qui remonte à l’ordonnance n° 97-09 du 6 mars 199727Ordonnance n° 97-09 du 6 mars 1997 portant loi organique relative aux partis politiques, JORA n° 12 du 6 mars 1997, pp. 24-28. , telle qu’amendée par la loi organique n° 12-04 du 12 janvier 201228Loi organique n° 12-04 du 12 janv. 2012 relative aux partis politiques, JORA n° 2 du 15 janv. 2012, pp. 9-15. , laquelle avait déjà nettement restreint le multipartisme, pour prévenir la résurgence du FIS dissous en 1992, en introduisant des conditions exorbitantes de constitution et d’exercice des partis politiques. Le Conseil d’État a ainsi suspendu, le 20 janvier 2022, les activités du Parti socialiste des travailleurs (PST), pour ne pas avoir renouvelé ses instances représentatives dans les formes et les délais prescrits29CE, Parti socialiste des travailleurs, 20 janv. 2022, n° 200353. . Quant au Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), fondé en 1989, il reçut le 5 janvier 2022 une mise en demeure pour avoir organisé le mois précédent à son siège un Front contre la répression30Arab Chih, « Le RCD répond à la mise en demeure du ministère de l’Intérieur : “Le pouvoir a choisi la ligne du pire” », Liberté, 8 janv. 2022. . Par ailleurs, sur un plan indirect, plusieurs responsables politiques furent condamnés sur divers fondements à de la prison ferme : du président de l’Union démocratique et sociale (UDS), Karim Tabbou31C. Alger, Karim Tabbou, 24 mars 2020, n° 20/05075. , au président du Mouvement pour la jeunesse et le changement (MJC), Rachid Nekkaz32Ania Boumaza, « 5 ans de prison ferme contre Rachid Nekkaz », Algérie 360°, 3 juill. 2022. , partis tous deux non agréés, en passant par le coordinateur du MDS, Fethi Ghares, parti agréé.

B. Une criminalisation de l’expression et des revendications du Mouvement : de l’atteinte à l’intégrité de l’unité nationale au terrorisme pacifique

L’emblème amazigh, c’est-à-dire berbère, servit initialement de prétexte à la répression, alors qu’il était brandi lors des marches en tant qu’emblème identitaire, en complément et non en opposition au drapeau national algérien33V. Mohand Tilmatine, « Interdiction des emblèmes berbères et occupation des espaces symboliques : amazighité versus algérianité ? », L’Année du Maghreb, 21 | 2019, pp. 149-164. . Il fit cependant l’objet de premières condamnations, dès le 11 novembre 2019, par le tribunal de Sidi M’hamed, à six mois de prison ferme et 30 000 dinars d’amende34T. Sidi M’hamed, Mustapha Hocine Aouissi, Mokrane Chalal, Samira Messouci, Elhadi Kichou, 11 nov. 2019, n° 19/05422. . Pour ce faire, le juge se fonda notamment sur la constitutionnalisation du drapeau algérien, depuis 2008 (2016/2020, art. 6), pour considérer qu’il s’agissait d’un emblème unique et que le port de l’emblème amazigh constituait dès lors une atteinte à l’intégrité de l’unité nationale (C. pén., art. 79)35Ibid. . Une fois le chef d’État-major décédé, la cour d’Alger finit par faire marche arrière, le 18 mars 2020, en relaxant plusieurs porteurs de l’emblème amazigh, en se fondant notamment sur la constitutionnalisation de la langue amazighe (2016/2020, art. 4) et sur le principe de légalité (2016, art. 160, al. 1er et 2020, art. 167), pour constater l’absence d’incrimination à l’égard de cet emblème36C. Alger, Bilal Bacha, Djaber Aibeche, Messaoud Leftissi, 18 mars 2020, n° 19/19254. La Cour suprême a par la suite confirmé cette jurisprudence, en constatant elle aussi l’absence d’incrimination à l’égard de l’emblème amazigh : C. suprême, Bilal Bacha, Djaber Aibeche, Messaoud Leftissi, 13 oct. 2022, n° 1479164. . L’atteinte à l’intégrité de l’unité nationale servit cependant plus largement de fondement à l’ensemble de la répression. La cour d’Alger condamna ainsi le journaliste Khaled Drareni à deux ans de prison ferme, en partie sur ce fondement, le 15 septembre 2020, pour avoir diffusé des slogans remettant en cause la légitimité électorale du président de la République, alors que selon la Constitution il « incarne l’unité de la Nation » (2016/2020, art. 84, al. 1er )37C. Alger, Samir Benlarbi, Khaled Mohamed Drareni, Moh Slimane Hamitouche, 15 sept. 2020, n° 20/09758. Décision confirmée après cassation, mais réduite à six mois de prison avec sursis : C. Alger, Khaled Mohamed Drareni, 3 mars 2022, n° 21/09933. , tandis que l’opposant Karim Tabbou avait été condamné, le 24 mars 2020, à un an de prison ferme, sur le même fondement et par la même cour, pour avoir distingué entre les hauts gradés privilégiés de l’armée et les simples soldats désœuvrés, ce pourquoi il fut accusé d’avoir cherché à diviser l’armée38C. Alger, Karim Tabbou, op. cit. .

D’autres dispositions furent aussi mobilisées, telles que l’atteinte à l’intérêt national (C. pén., art. 96). La cour d’Alger condamna ainsi Nacer Meghnine à un an de prison ferme, le 14 novembre 2021, en partie sur ce fondement, en raison de pancartes retrouvées au siège de son association, dénonçant la torture et les arrestations arbitraires, ce en quoi les juges considérèrent qu’elles portaient atteinte à l’image de l’Algérie et incitaient à l’ingérence étrangère39C. Alger, Nacer Meghnine, Kamel Slimani, Abderrahmane Moussa, Zahir Bouzid, op. cit. . Il y eut aussi l’outrage à corps constitué (C. pén., art. 144 bis et 146), appliqué le 7 mai 2020, par le tribunal de Bir Mourad Raïs, à l’égard de Lakhdar Bouregaâ, ancien commandant de la Wilaya IV (Algérois) durant la guerre de libération nationale, condamné à 100 000 dinars d’amende pour avoir affirmé, en juin 2019, que l’Armée nationale populaire (ANP) n’était pas l’héritière de l’Armée de libération nationale (ALN), dont il avait été membre, ce pourquoi il avait été placé six mois en détention provisoire, à l’âge de 86 ans40T. Bir Mourad Raïs, Lakhdar Bouregaâ, 7 mai 2020, n° 20/00004. .

Quant à la liberté de la presse, elle fit l’objet de nombreuses restrictions. Pour passer outre la disposition constitutionnelle selon laquelle il ne peut y avoir privation de liberté pour délit de presse (2016, art. 50, al. 4 et 2020, art. 54, al. 5), les juges usèrent de deux techniques. Dans la jurisprudence relative à l’affaire Khaled Drareni, ils rappelèrent que pour bénéficier de cette protection, la Constitution renvoie à la loi (2016, art. 50, al. 3 et 2020, art. 54, al. 2, tiret 6) et que la loi organique n° 12-05 du 12 janvier 201241Loi organique n° 12-05 du 12 janv. 2012 relative à l’information, JORA n° 02 du 15 janv. 2012, pp. 18-27. nécessite, pour se voir reconnaître la qualité de journaliste professionnel, une carte de presse (art. 76) et un contrat écrit (art. 80), ce dont de nombreux journalistes algériens ne peuvent attester42C. Alger, Samir Benlarbi, Khaled Mohamed Drareni, Moh Slimane Hamitouche, op. cit. . Dans une autre jurisprudence, relative à l’affaire Rabah Karèche, la qualité de journaliste ne fut pas déniée au prévenu, mais pour le condamner, le juge distingua entre ses articles parus dans la presse, en cette qualité, dès lors insusceptibles d’emprisonnement, du partage de ces mêmes articles sur ses propres réseaux sociaux, cette fois-ci en sa qualité de personne privée, c’est-à-dire passible d’une peine d’emprisonnement43T. Tamanrasset, Rabah Karèche, 12 août 2021, n° 21/01221. .

Enfin, pour calibrer la législation pénale aux circonstances particulières induites par la répression du Hirak, le Code pénal fut plusieurs fois amendé. Les lois n° 20-0544Loi n° 20-05 du 28 avr. 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le discours de haine, JORA n° 25 du 29 avr. 2020, pp. 4-9. et 20-0645Loi n° 20-06 du 28 avr. 2020 modifiant et complétant l’ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant code pénal, JORA n° 25 du 29 avr. 2020, pp. 10-12. du 28 avril 2020 ont d’abord été promulguées en pleine période de pandémie, afin de réprimer les discours de haine46À l’égard de « quiconque, publiquement incite à commettre les infractions citées dans le présent article, organise, fait l’apologie ou mène des actions de propagande à cette fin » et la diffusion de « fake news » (C. pén., art. 196 bis)47À l’égard de « quiconque volontairement diffuse ou propage, par tout moyen, dans le public des informations ou nouvelles, fausses ou calomnieuses, susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre publics ». , infractions instrumentalisées afin de restreindre plus encore la liberté d’expression, tandis que le « délit de solidarité » (C. pén., art. 95 bis)48À l’égard de « quiconque reçoit des fonds, un don ou un avantage, par tout moyen, d’un État, d’une institution ou de tout autre organisme public ou privé ou de toute personne morale ou physique, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, pour accomplir ou inciter à accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’État, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions, à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale, aux intérêts fondamentaux de l’Algérie ou à la sécurité et à l’ordre publics » permet désormais de réprimer tout soutien au Hirak.

L’ordonnance n° 21-08 du 8 juin 202149Ordonnance n° 21-08 du 8 juin 2021 modifiant et complétant l’ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant code pénal, JORA n° 45 du 9 juin 2021, pp. 6-7. V. aussi le décret exécutif n° 21-384 du 7 oct. 2021 fixant les modalités d’inscription et de radiation de la liste nationale des personnes et entités terroristes et des effets qui en découlent, JORA n° 78 du 13 oct. 2021, pp. 6-10. a constitué le faîte de cette politique répressive, en ce qu’elle qualifie dorénavant de terroriste toute action ayant pour objet d’« accéder au pouvoir ou […] changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels » (C. pén., art. 87 bis 14). Une telle disposition permet ainsi de criminaliser la revendication d’une transition démocratique hors de la Constitution autoritaire, portée à partir du mois d’avril 2019 par le Hirak, voire la revendication d’une Assemblée constituante, alors qu’en Algérie, depuis 1976, seul le président est à l’initiative de la révision de la Constitution50En ce sens, les rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont considéré que « cette expression [“moyens non constitutionnels”] pourrait effectivement être employée à l’encontre de militants et manifestants non violents cherchant à faire avancer leur mouvement et leurs revendications par des canaux autres que ceux proposés par le cadre institutionnel établi par les autorités » : OL DZA 12/2021, 27 déc. 2021, pp. 4-5. . Cette accusation de « terrorisme pacifique », puisque cette incrimination ne nécessite pas d’acte de violence, a surtout été employée à l’encontre des militants et sympathisants, réels ou amalgamés, du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et de Rachad (islam politique)51Ces deux mouvements et seize personnes ont ainsi été inscrits sur la « liste nationale des personnes et entités terroristes », sans procès préalable : arrêté du 6 févr. 2022 portant inscription sur la liste nationale des personnes et entités terroristes, JORA n° 11 du 13 févr. 2022, pp. 24-26. , organisations survalorisées52Fondé en 2001, à la suite du Printemps noir de Kabylie, qui fit près de 130 morts, le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), radicalisé en Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) à partir de 2013, profitait d’un vide politique dans la région, en raison du discredit des partis politiques traditionnels et d’une relative inertie politique au niveau national, tout au long des quatre mandats du président Bouteflika. A contrario, le 22 février 2019 suscita un « réenchantement » en faveur d’un changement démocratique dans une Algérie plurielle où se mêlaient drapeau national et emblème amazigh, pour des personnes jusque-là tentées par le discours du MAK. L’avènement du Hirak constitua ainsi un frein à son expansion, alors que la répression des autorités lui offrit une publicité inégalée jusque-là. par les autorités afin de discréditer le Hirak. C’est d’ailleurs plus généralement l’incrimination de terrorisme, introduite en droit pénal algérien à l’occasion de la Décennie noire, par le décret législatif n° 92-03 du 30 septembre 199253Décret législatif n° 92-03 du 30 sept. 1992 relatif à la lutte contre la subversion et le terrorisme, JORA n° 70 du 1er oct. 1992, pp. 1490-1493. V. Mouloud Boumghar, « L’hypothèse de la “guerre contre le terrorisme” en Algérie : quand l’exception devient la règle ou la transformation du droit commun et des rapports entre autorités civiles et militaires sous l’effet des mesures dérogatoires et exceptionnelles », in Julie Alix et Olivier Cahn, L’Hypothèse de la guerre contre le terrorisme, Paris, Dalloz, 2017, pp. 15-28. , avant d’être codifiée par l’ordonnance n° 95-11 du 25 févr. 199554Ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant code pénal, JORA n° 11 du 1er mars 1995, pp. 7-8. (C. pén., art. 87 bis), qui eut les faveurs des autorités, à partir de l’année 2021. Si de telles dispositions paraissent manifestement inconventionnelles55V. OL DZA 12/2021, op. cit., 14 p. , eu égard à leur caractère peu clair et peu précis et aux restrictions disproportionnées à la liberté d’expression qu’elles constituent, la révision constitutionnelle de 2020 a cependant permis de leur trouver une nouvelle légitimité.

2. La révision constitutionnelle de 2020 : un renforcement de l’ordre constitutionnel autoritaire

Cette révision permet désormais de déroger aux droits et libertés garantis par la Constitution, afin de préserver les vagues principes de l’ordre public, de la sécurité et des constantes nationales (A). En outre, pour mieux prévenir les blocages institutionnels de l’année 2019, l’armée a dorénavant pour mission de garantir les « intérêts vitaux et stratégiques du pays » (B).

A. Une constitutionnalisation de la répression : la possibilité de déroger aux droits et libertés au nom de l’ordre public, de la sécurité et des constantes nationales

Sur le plan des droits et libertés, la révision constitutionnelle de 2020 est venue prévenir les conséquences de l’exception d’inconstitutionnalité, introduite en 2016 sur le modèle de la question prioritaire de constitutionnalité française (QPC), en disposant désormais qu’il est possible de déroger aux « droits, libertés et garanties », par une loi, « pour des motifs liés au maintien de l’ordre public, de la sécurité et de la protection des constantes nationales » (art. 34, al. 2), et ce, sans prévoir les garde-fous de la nécessité et de la proportionnalité dans une société démocratique, mais tout au plus l’impossibilité de porter atteinte à « l’essence de ces droits et libertés » (art. 34, al. 3). En outre, aucune disposition constitutionnelle ne définit « les constantes nationales »56Ces « constantes » pourraient ainsi servir de fondement constitutionnel au Code de la famille de 1984, y compris après les amendements de 2005, en ce qu’il maintient encore des dispositions discriminatoires à l’égard des femmes, notamment en matière de successions, malgré la disposition constitutionnelle selon laquelle sont prohibées les discriminations pour cause de sexe (art. 37). , ce qui laisse dès lors une large marge de manœuvre aux juges judiciaires et administratifs ainsi qu’aux membres de la nouvelle Cour constitutionnelle57En ce sens : “Measures of limitation are subject to the conditions of legality, necessity proportionality and non-discrimination. Legal provisions which provide for such limitations must include the nature of the right to be limited, the nature and the extent of the limitation, the relation between the limitation and its purpose, and why it is necessary to limit the exercise of the right instead of a less restrictive means to achieve the purpose. Article 34 should be amended to reflect these elements, as well as to remove the protection of “fundamentals of the nation” as a basis for the limitation of the exercise of human rights”, International Commission of Jurists, Flawed and Inadequate. Algeria’s Constitutional Amendment Process. A Briefing Paper, Genève, oct. 2020, p. 24. Le Conseil constitutionnel algérien avait pourtant affirmé, dans sa toute première décision, qu’un droit constitutionnel dont les conditions d’exercice sont renvoyées à la loi « ne peut faire l’objet que des seules restrictions nécessaires, dans une société démocratique, pour protéger les libertés et les droits énoncés dans la Constitution et en garantir le plein effet » : décision n° 1-D-L-CC 89 du 20 août 1989 relative au Code électoral, JORA n° 36 du 30 août 1989, pp. 871-874. . Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs rapidement appliqué cette disposition, dans sa décision n° 24/D.CC/21 du 7 juin 202158Décision n° 24/D.CC/21 du 7 juin 2021 relative au contrôle de la constitutionnalité de l’ordonnance relative à la protection des informations et des documents administratifs, JORA n° 45 du 9 juin 2021, pp. 7-9. . En effet, alors qu’il avait constaté que l’ordonnance qui lui était soumise pouvait « restreindre l’exercice de certains droits et libertés », il imposa seulement d’y adjoindre parmi les visas le nouvel article 34, sans effectuer aucun contrôle de proportionnalité.

D’autres dispositions constitutionnelles ont connu une apparente libéralisation, telles que les libertés de manifestation et d’association, qui relèvent désormais d’une « simple déclaration préalable » et non plus d’une autorisation préalable (respectivement, art. 53, al. 1er et 52, al. 2), ou bien encore le droit de créer des partis politiques, dont « l’administration doit s’abstenir de toute pratique de nature à entraver ce droit » (art. 57, al. 8), tandis que la loi organique relative à leur création « ne doit pas comporter de dispositions de nature à remettre en cause la liberté de leur création » (art. 57, al. 10). Or, ces dispositions doivent non seulement être mises en rapport avec le nouvel article 34, mais aussi avec la disposition selon laquelle « les lois, dont la modification ou l’abrogation sont rendues nécessaires en vertu de la présente Constitution, demeurent en vigueur jusqu’à l’élaboration de nouvelles lois ou leur modification dans un délai raisonnable » (art. 225). Or, ce délai raisonnable n’est pas précisé, alors des lois organiques prévues par la Constitution de 1996, sur la Haute Cour de l’État ou l’état de siège et l’état d’urgence, n’ont toujours pas été promulguées après plus d’un quart de siècle. C’est d’ailleurs dans ce délai « raisonnable » que l’autorisation préalable prévue par la loi n° 91-19 a pu être réactivée le 20 mai 2021 pour les marches du vendredi.  En outre, il s’agit du droit de « créer » des associations ou des partis politiques, et non celui d’exercer ces droits, ce qui maintient ainsi la compatibilité avec la Constitution des dispositions législatives exorbitantes qui permettent de les suspendre ou les dissoudre. C’est dans ce cadre que l’association RAJ et la LADDH ont été dissoutes dans le délai raisonnable susmentionné. Enfin, les fondements juridiques qui ont permis leur dissolution, qui relèvent de l’exercice de la vie associative et non de la création des associations, ont été maintenus dans l’avant-projet de loi relatif aux associations, voire renforcés (art. 26 et 56)59Ministère de l’Intérieur, Avant-projet de loi organique n° … du … correspondant au … relative aux associations. .

La révision constitutionnelle de 2020 avait d’ailleurs préalablement supprimé la disposition selon laquelle « la défense individuelle ou associative des droits fondamentaux de l’Homme et des libertés individuelles et collectives est garantie » (2016, art. 39). La suppression d’une telle disposition a ainsi facilité les poursuites engagées à l’encontre des défenseurs des droits humains, à l’image Zakaria Hannache, connu pour entretenir une veille sur les détenus d’opinion du Hirak, ce pourquoi il fut poursuivi, à partir du mois de février 2022, pour atteinte à l’intégrité de l’unité nationale (C. pén., art. 79), atteinte à l’intérêt national (C. pén., art. 96), « fake news » (C. pén., art. 196 bis), « délit de solidarité » (C. pén., art. 95 bis) et apologie du terrorisme (C. pén., art. 87 bis 4)60AL DZA 5/2022, Mandats de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l'homme et de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, 15 sept. 2022. . Quant à la liberté de conscience, en réalité de croyance dans le texte arabe, notion plus étroite, elle a aussi disparu de la Constitution en 2020, bien que proclamée depuis 197661Certes, « la liberté d’exercice des cultes » (art. 51, al. 2), désormais proclamée au pluriel, est toujours garantie, mais elle relève encore du vague « respect de la loi » (art. 51, al. 2) et désormais des constantes nationales (art. 34, al. 2), c’est-à-dire de l’ordonnance n° 06-03, particulièrement discriminatoire et restrictive de cette liberté : ordonnance n° 06-03 du 28 févr. 2006 fixant les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulmans, JORA n° 12 du 1er mars 2006, pp. 23-24. V. Zohra-Aziadé Zemirli, Le statut juridique des non-musulmans en Algérie. L’exemple des évangéliques et des ahmadis, Paris, L’Harmattan, 2020, pp. 203-244. . Le fondateur du Cercle des lumières pour la pensée libre en Algérie, Saïd Djabelkhir, fut d’ailleurs condamné, le 22 avril 2021, par le tribunal de Sidi M’hamed, à trois ans de prison ferme et 50 000 dinars d’amende, pour avoir dénigré « le dogme ou les précepts de l’Islam » (C. pén., art. 144 bis 2), en raison de billets partagés sur les réseaux sociaux, critiques à l’égard de certaines interprétations de la religion musulmane62T. Sidi M’hamed, Saïd Djabelkhir, 22 avr. 2021, n° 21/00483. . Si l’islamologue fut relaxé en appel63« L’islamologue Saïd Djabelkhir relaxé en appel », TSA, 1er février 2023. , l’instrumentalisation de la religion, à l’occasion de son procès de première instance, se ressentit d’autant plus lorsque les tenants des parties civiles se réclamèrent du défunt général Gaïd Salah et de l’« État militaire »64Abdelghani Aichoun, « Ils se sont manifestés le jour du procès de Djabelkheir : La “Badissia novembaria”, entre la “Phénicie” et l’“État militaire” », El Watan, 5 avr. 2021. , par opposition à l’État civil réclamé par le Hirak.

B. Une constitutionnalisation du de factode l’année 2019 : l’armée proclamée gardienne des « intérêts vitaux et stratégiques du pays »

Le cœur de la révision constitutionnelle a consisté à proclamer que l’armée est désormais la garante des « intérêts vitaux et stratégiques du pays conformément aux dispositions constitutionnelles » (art. 30, al. 4)65V. Massensen Cherbi, « L’armée algérienne est-elle un gardien de la Constitution ? Du rôle de bouclier de la Révolution socialiste à celui de garant des intérêts vitaux et stratégiques du pays », RFDC, vol. 128, n° 4, déc. 2021, pp. 47-75. , selon une proposition issue du ministère de la Défense nationale (la n° 1317), ce qui constitue une véritable révolution juridique, eu égard à la dépolitisation constitutionnelle que l’armée avait connue à l’occasion de la Constitution de 198966V. Myriam Aït-Aoudia, « Dépolitisation de l’armée et fin du régime du parti unique en Algérie en 1989. Retour sur un impensé », in Les armées dans les révolutions arabes : positions et rôles, Rennes, PUR, 2015, pp. 33-46 et Myriam Aït-Aoudia, L’expérience démocratique en Algérie (1988-1992). Apprentissages politiques et changement de régime, Paris, Les presses de Sciences Po, 2015, pp. 114-124. . En effet, quels sont ces « intérêts vitaux et stratégiques » ? Ils peuvent aussi bien relever des questions militaires, que des questions internationales, internes, économiques, culturelles, voire cultuelles67En ce sens : “Such broad provisions have the potential to encourage and facilitate the military’s intervention in civil and political matters” : International Commission of Jurists, op. cit., p. 10. et si l’article précise « conformément aux dispositions constitutionnelles », c’est sans préciser desquelles il s’agit. Or, si le président est proclamé « Chef suprême des Forces Armées » (art. 91, al. 1er , 1), qu’adviendrait-il s’il venait à enfreindre une autre disposition constitutionnelle que l’armée considérait comme relevant des « intérêts vitaux et stratégiques » ? Faudrait-il faire prévaloir l’une ou l’autre de ces deux dispositions ? L’origine de cette disposition ambiguë permet d’en éclairer la portée.

C’est ainsi que l’intervention de l’armée dans l’arrêt du processus électoral, le 12 janvier 1992, qui allait conduire à la victoire du FIS, avait déjà été l’occasion pour deux comités d’experts, en 1993 et en 1996, de proposer de faire de l’armée un gardien de la Constitution68Mohamed Boussoumah, Documents constitutionnels et politiques. 1919-2018, Tome II, Alger, OPU, 2019, pp. 185 et 347. , ce qui avait néanmoins été rejeté par les autorités. De ce fait, l’intervention de l’armée, en 2019, pour pousser le président Bouteflika à la démission, était dénuée de tout fondement juridique69Massensen Cherbi, « L’armée algérienne est-elle un gardien de la Constitution ? Du rôle de bouclier de la Révolution socialiste à celui de garant des intérêts vitaux et stratégiques du pays », op. cit., pp. 61-64. , et il n’existait alors aucun contre-pouvoir constitutionnel à même de le contraindre à la démission70Ni responsabilité politique ni impeachment, tandis que l’état d’empêchement pour cause de maladie grave et durable était impraticable : Massensen Cherbi, « Les mécanismes constitutionnels de l’autoritarisme algérien face au Hirak », op. cit., pp. 167-169. . Cette disposition permet dès lors de légitimer a posteriori une telle intervention, voire des interventions futures, en ce que « dans tous les cas de figure où le président devient incontrôlable […] l’armée ne pourra faire l’économie d’un coup d’État ; […] seul le “pronunciamento” pourra régler le différend »71Fatiha Benabbou-Kirane, « La nature du régime politique algérien », RASJEP, vol. 44, n° 1, 2007, p. 60 . La révision constitutionnelle égyptienne de 2019 avait d’ailleurs déjà confié à son armée le soin de « maintenir la Constitution, la démocratie, les fondements de l’État civil, ainsi que les acquis, les droits et les libertés du peuple » (art. 200, al. 1er ), en légitimant ainsi son coup d’État contre le président Morsi en 2013 et en prévenant par la même occasion tout retour des Frères musulmans au pouvoir72Nathalie Bernard-Maugiron, « Les amendements constitutionnels de 2019 en Egypte : vers une consécration de la dérive autoritaire du régime », RFDC, vol. 121, n° 1, 2020, pp. 16-17. V. aussi Massensen Cherbi, « La place de l’armée dans les Constitutions d’Afrique du Nord : étude de droit comparé entre l’Algérie, l’Égypte, la Libye, le Maroc et la Tunisie », Rosa Luxemburg Stiftung, janv. 2023, 25 p. .

En Algérie, une telle disposition pourrait aussi bien s’appliquer à l’égard d’un président ou d’un Parlement, y compris issus du Hirak, puisque la Constitution distingue désormais le « Hirak populaire originel » (préambule, § 10) du Hirak qui réclamait un « changement radical de système » et un « État civil-non militaire »73Slogan diabolisé par les autorités militaires : v. « Gaid Salah : la position de l’ANP émane de sa conviction de la nécessité de sauvegarder la sécurité et la stabilité de l’Algérie », APS, 7 nov. 2019 et Ghedjati, « Malheur aux traîtres de la patrie », El-Djeich, n° 682, mai 2020. . Elle sert surtout de ligne rouge à ne pas franchir, bien qu’indéfinie. Dans ce cadre, le décret présidentiel n° 21-539 du 26 décembre 202174Décret présidentiel n° 21-539 du 26 déc. 2021 portant composition, organisation et fonctionnement du Haut conseil de sécurité, JORA n° 99 du 29 déc. 2021, pp. 9-10. a remanié le Haut conseil de sécurité a (HCS), en y renforçant sa composante militaire, désormais majoritaire (art. 2), et en étendant ses missions, jusqu’aux « consultations référendaires portant sur des questions de nature fondamentale » (art. 3, a, tiret 3). Ces nouvelles dispositions apparaissent dès lors manifestement incompatibles avec la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007, pourtant ratifiée par l’Algérie75Décret présidentiel n° 16-255 du 27 sept. 2016 portant ratification de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance adoptée par les Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union africaine, à Addis Abeba (Éthiopie) le 30 janv. 2007, JORA n° 59 du 9 oct. 2016, pp. 4-12. , puisque celle-ci prévoit que « les États parties renforcent et institutionnalisent le contrôle du pouvoir civil constitutionnel sur les forces armées et de sécurité aux fins de la consolidation de la démocratie et de l’ordre constitutionnel » (art. 14, § 1).

Conclusion : Un État de droit autoritaire efficace pour démobiliser judiciairement le Hirak

À quatre ans des premières marches du Hirak, revendiquer une transition démocratique en dehors de la Constitution autoritaire peut désormais relever du « terrorisme pacifique » (C. pén., art. 87 bis 14), appeler à continuer le Hirak peut relever de la provocation directe à attroupement non armé (C. pén., art. 100), dénoncer la répression peut relever de l’atteinte à l’intérêt national (C. pén., art. 96), voire des « fake news » (C. pén., art. 196 bis), tandis que critiquer le président de la République ou l’armée peut relever de l’atteinte à l’intégrité de l’unité nationale (C. pén., art. 79), voire de l’outrage à corps constitué (C. pén., art. 144 bis et 146). Quant aux marches du vendredi, à défaut d’autorisation préalable, elles ne peuvent plus avoir lieu, au risque d’un attroupement non armé (C. pén., art. 98), là où les actes de solidarité à l’égard du Hirak peuvent relever de l’atteinte à la sécurité de l’État ou aux intérêts fondamentaux de l’Algérie (C. pén., art. 95 bis), tandis que les associations et partis politiques investis dans le Mouvement s’exposent à la suspension de leurs activités, voire leur dissolution, pour avoir dénoncé la répression ou avoir boycotté les élections. Une telle répression, généralisée à l’échelle nationale, aussi bien à l’égard des militants des droits humains que d’une opposition non-violente, est inédite depuis l’ouverture démocratique de 1989 et l’arrêt du processus électoral de 1992, eu égard au caractère pacifique du Hirak et à ses revendications démocratiques, qui tranchent avec l’opposition armée des années 1990, en questionnant ainsi d’autant plus la légitimité des autorités en place, dont un slogan populaire avait réclamé qu’elles s’en aillent toutes, « yetnahaw gaâ »76Iddir Nadir, « Il a été lancé par un jeune algérois sur une chaîne arabe “Yetnahaw gaâ !”  Ce slogan qui galvanise les foules », El Watan, 31 déc. 2019. .

L’application de ces dispositions répressives, leur approfondissement par de nouvelles lois calibrées ainsi qu’une jurisprudence semblant largement ignorer tant le principe d’interprétation stricte de la loi pénale que celui de légalité des délits et des peines – ce qui interroge d’ailleurs l’indépendance de la justice77La révision constitutionnelle de 2020 a d’ailleurs maintenu le président de la République à la tête du Conseil supérieur de la magistrature (art. 180, al. 1er ), fonction qu’il peut tout au plus déléguer au premier président de la Cour suprême (art. 180, al. 3), qu’il nomme par ailleurs (art. 92, al. 1er , 4). En outre, si le juge du siège est en principe inamovible (art. 172, al. 1er ), il « ne peut être révoqué, ni faire l’objet de suspension ou de cessation de fonction, ni d’une sanction disciplinaire, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, sauf dans les cas fixés par la loi et conformément aux garanties qu’elle lui accorde et en vertu d’une décision motivée du Conseil Supérieur de la Magistrature » (art. 172, al. 2). Or, en attendant un « délai raisonnable » de transposition législative (art. 225), la loi organique n° 04-11 du 6 sept. 2004 portant statut de la magistrature, ne garantit le « droit à la stabilité », à l’égard des jeunes magistrats, qu’au terme d’une période de dix ans (art. 26, al. 1er ) et quand bien même, une fois celle-ci acquise, les magistrats du siège peuvent être mutés « si les intérêts et le bon fonctionnement du service de la justice l'exigent » (art. 26, al. 2) : JORA n° 57 du 8 sept. 2004, pp. 11-20. –, auront ainsi participé à démobiliser le Hirak, jusqu’à lui faire perdre toute expression publique, dès les mois de mai et juin 2021, c’est-à-dire depuis qu’une autorisation préalable est à nouveau nécessaire pour marcher le vendredi et depuis que l’infraction de terrorisme a été étendue aux revendications du Mouvement. La politique répressive aura aussi participé d’une propagande visant à désolidariser du Hirak différents pans de la population, en en présentant les acteurs comme des agents déstabilisateurs, des séparatistes kabyles, des blasphémateurs à l’égard de l’islam, des extrémistes musulmans, voire in fine des terroristes, c’est-à-dire en faisant des détenus d’opinion et des personnes poursuivies dans le cadre de la répression de véritables repoussoirs. Ces dispositions répressives trouvent par ailleurs un nouveau fondement dans la Constitution, qui, outre le vague renvoi à la loi, permet dorénavant de déroger aux droits et libertés, par une loi, afin de préserver les vagues principes de l’ordre public, de la sécurité et des constantes nationales (art. 34, al. 2). Malgré une violation manifeste des conventions internationales ratifiées par l’Algérie78L’Algérie reconnaît en effet, depuis 1989, la primauté des traités ratifiés sur ses lois internes (2020, art. 154). , sur un plan strictement interne ces dispositions législatives et constitutionnelles s’emboîtent assez harmonieusement dans un État de droit autoritaire, c’est-à-dire formel, qui ignore le rule of law.

Sur le plan de l’organisation des pouvoirs publics, l’introduction dans la législation du « terrorisme pacifique », pour le seul fait de vouloir « changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels » (C. pén., art. 87 bis 14), verrouille tout « changement radical de système », en offrant comme seule perspective une élection présidentielle, programmée pour l’année 2024. En effet, le Parlement ne peut pas de lui-même réviser la Constitution, et ce, alors que les conditions de présentation à l’élection présidentielle figurent parmi les plus discriminatoires au monde (Const., art. 87) et que la surveillance de cette élection est confiée à une « Haute autorité nationale indépendante des élections », dont l’intégralité des membres sont nommés par le président de la République (Const., art. 201, al. 1er ), c’est-à-dire au risque d’élire un président disposant de pouvoirs exorbitants, sous le seul contrôle d’une armée désormais proclamée gardienne des « intérêts vitaux et stratégiques du pays » (Const., art. 30, al. 4), bref, au risque d’une énième reconduction du système politique en place, par-delà les guerres de clans qui l’animent.

Endnotes

Endnotes
1 Karim Amrouche, « Dernier espace médiatique libre en Algérie, le siège de Radio M a été mis sous scellés », Le Monde, 25 déc. 2022.
2 « En Algérie, Ihsane El-Kadi, directeur de Radio M et de Maghreb Emergent, en détention provisoire », Le Monde avec AFP, 29 déc. 2022.
3 Ryad Hamadi, « Rachid Nekkaz annonce qu’il “arrête la politique” », TSA, 2 janv. 2023.
4 « En Algérie, les autorités dissolvent la principale ONG de défense des droits humains », Le Monde avec AFP, 23 janv. 2023.
5 Mouvement opposé au quatrième mandat du président Bouteflika.
6 Madjid Zerrouky, « L’opposante franco-algérienne Amira Bouraoui, réfugiée à Tunis, rejoint la France après avoir échappé à une expulsion vers l’Algérie », Le Monde, 6 févr. 2023.
7 Pour une synthèse sur les blocages institutionnels de l’année 2019 en Algérie : v. Mouloud Boumghar, « Le gant constitutionnel réversible : accessoire de l’uniforme militaire. Regard critique sur la crise constitutionnelle algérienne de 2019 », L’Année du Maghreb, 21 | 2019, pp. 69-88 ; Mohamed Boussoumah, « L’effet boomerang de la candidature du Président A. Bouteflika à un cinquième mandat », RASJEP, vol. 58, n° 4, pp. 438-466 ; et Massensen Cherbi, « Les mécanismes constitutionnels de l’autoritarisme algérien face au Hirak », Mouvements, vol. 102, n° 2, juin 2020, pp. 166-176.
8 V. Massensen Cherbi, « L’armée algérienne face à la revendication d’un “État civil, non-militaire” », Confluences Méditerranée, vol. 122, n° 3, oct. 2022, pp. 77-98.
9 « Gaïd Salah met en garde contre les objectifs “ambigus” de ceux qui veulent geler la Constitution », APS, 18 juin 2019.
10 « Gaïd Salah met en garde contre ceux brandissant des drapeaux autres que l’emblème national », APS, 19 juin 2019.
11 Proclamation n° 03/P.CC/19 du 16 déc. 2019 portant résultats définitifs de l’élection du Président de la République, JORA n° 78 du 18 déc. 2019, pp. 16-19. Ce taux fut d’ailleurs contesté : Nabila Amir, « Le RCD s’offusque du comportement du pouvoir : “Le taux de participation réel à la présidentielle n’a pas dépassé les 8 %” », El Watan, 15 déc. 2019.
12 Décret présidentiel n° 20-03 du 11 janv. 2020 portant création d’un comité d’experts chargé de formuler des propositions pour la révision de la Constitution, JORA n° 02 du 15 janv. 2020, p. 7.
13 Comité d’experts chargé de formuler des propositions pour la révision de la Constitution, Propositions présentées dans le cadre du débat général autour du projet de révision de la Constitution, 5 sept. 2020, 1231 p.
14 Proclamation n° 01/P.CC/20 du 12 nov. 2020 portant résultats définitifs du référendum du 1er nov. 2020 sur le projet de révision de la Constitution, JORA n° 72 du 3 déc. 2020, pp. 4-5.
15 Décret présidentiel n° 20-442 du 30 déc. 2020 relatif à la promulgation au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire de la révision constitutionnelle, adoptée par référendum du 1er nov. 2020, JORA n° 82 du 30 déc. 2020, pp. 2-49. V. Massensen Cherbi, « La révision constitutionnelle de 2020 en Algérie : un ultra-présidentialisme militarisé de jure », ISSRA, avr. 2021, 9 p.
16 Ces élections furent à nouveau marquées par un taux officiel d’abstention record : « Législatives : le taux de participation s’établit à 23 % », APS, 23 juin 2021.
17 Loi n° 91-19 du 2 déc. 1991 modifiant et complétant la loi n° 89-28 du 31 déc. 1989 relative aux réunions et manifestations publiques, JORA n° 62 du 4 déc. 1991, pp. 1946-1948.
18 « Marche de vendredi : le ministère de l'Intérieur dément avoir reçu une demande d’autorisation », APS, 20 mai 2021.
19 C. Alger, Fethi Ghares, 22 mars 2022, n° 22/00967.
20 Loi n° 12-06 du 12 janv. 2012 relative aux associations, JORA n° 2 du 15 janv. 2012, pp. 28-34.
21 Madjid Makedhi, « Loi sur les associations : Des ONG veulent mettre fin à l’arbitraire », El Watan, 6 oct. 2018.
22 TA Alger, Association nationale Rassemblement Actions Jeunesse, 13 oct. 2021, n° 2101798.
23 TA Alger, Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, 29 juin 2022, n° 22/01423.
24 C. Alger, Nacer Meghnine, Kamel Slimani, Abderrahmane Moussa, Zahir Bouzid, 14 nov. 2021, n° 21/13231.
25 T. Sidi M'hamed, Hakim Mohamed Addad, 8 juill. 2021, n° 20/04884.
26 C. Alger, Abdelouahab Fersaoui, 17 mai 2020, n° 20/05630.
27 Ordonnance n° 97-09 du 6 mars 1997 portant loi organique relative aux partis politiques, JORA n° 12 du 6 mars 1997, pp. 24-28.
28 Loi organique n° 12-04 du 12 janv. 2012 relative aux partis politiques, JORA n° 2 du 15 janv. 2012, pp. 9-15.
29 CE, Parti socialiste des travailleurs, 20 janv. 2022, n° 200353.
30 Arab Chih, « Le RCD répond à la mise en demeure du ministère de l’Intérieur : “Le pouvoir a choisi la ligne du pire” », Liberté, 8 janv. 2022.
31 C. Alger, Karim Tabbou, 24 mars 2020, n° 20/05075.
32 Ania Boumaza, « 5 ans de prison ferme contre Rachid Nekkaz », Algérie 360°, 3 juill. 2022.
33 V. Mohand Tilmatine, « Interdiction des emblèmes berbères et occupation des espaces symboliques : amazighité versus algérianité ? », L’Année du Maghreb, 21 | 2019, pp. 149-164.
34 T. Sidi M’hamed, Mustapha Hocine Aouissi, Mokrane Chalal, Samira Messouci, Elhadi Kichou, 11 nov. 2019, n° 19/05422.
35 Ibid.
36 C. Alger, Bilal Bacha, Djaber Aibeche, Messaoud Leftissi, 18 mars 2020, n° 19/19254. La Cour suprême a par la suite confirmé cette jurisprudence, en constatant elle aussi l’absence d’incrimination à l’égard de l’emblème amazigh : C. suprême, Bilal Bacha, Djaber Aibeche, Messaoud Leftissi, 13 oct. 2022, n° 1479164.
37 C. Alger, Samir Benlarbi, Khaled Mohamed Drareni, Moh Slimane Hamitouche, 15 sept. 2020, n° 20/09758. Décision confirmée après cassation, mais réduite à six mois de prison avec sursis : C. Alger, Khaled Mohamed Drareni, 3 mars 2022, n° 21/09933.
38 C. Alger, Karim Tabbou, op. cit.
39 C. Alger, Nacer Meghnine, Kamel Slimani, Abderrahmane Moussa, Zahir Bouzid, op. cit.
40 T. Bir Mourad Raïs, Lakhdar Bouregaâ, 7 mai 2020, n° 20/00004.
41 Loi organique n° 12-05 du 12 janv. 2012 relative à l’information, JORA n° 02 du 15 janv. 2012, pp. 18-27.
42 C. Alger, Samir Benlarbi, Khaled Mohamed Drareni, Moh Slimane Hamitouche, op. cit.
43 T. Tamanrasset, Rabah Karèche, 12 août 2021, n° 21/01221.
44 Loi n° 20-05 du 28 avr. 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le discours de haine, JORA n° 25 du 29 avr. 2020, pp. 4-9.
45 Loi n° 20-06 du 28 avr. 2020 modifiant et complétant l’ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant code pénal, JORA n° 25 du 29 avr. 2020, pp. 10-12.
46 À l’égard de « quiconque, publiquement incite à commettre les infractions citées dans le présent article, organise, fait l’apologie ou mène des actions de propagande à cette fin »
47 À l’égard de « quiconque volontairement diffuse ou propage, par tout moyen, dans le public des informations ou nouvelles, fausses ou calomnieuses, susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre publics ».
48 À l’égard de « quiconque reçoit des fonds, un don ou un avantage, par tout moyen, d’un État, d’une institution ou de tout autre organisme public ou privé ou de toute personne morale ou physique, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, pour accomplir ou inciter à accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’État, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions, à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale, aux intérêts fondamentaux de l’Algérie ou à la sécurité et à l’ordre publics »
49 Ordonnance n° 21-08 du 8 juin 2021 modifiant et complétant l’ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant code pénal, JORA n° 45 du 9 juin 2021, pp. 6-7. V. aussi le décret exécutif n° 21-384 du 7 oct. 2021 fixant les modalités d’inscription et de radiation de la liste nationale des personnes et entités terroristes et des effets qui en découlent, JORA n° 78 du 13 oct. 2021, pp. 6-10.
50 En ce sens, les rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont considéré que « cette expression [“moyens non constitutionnels”] pourrait effectivement être employée à l’encontre de militants et manifestants non violents cherchant à faire avancer leur mouvement et leurs revendications par des canaux autres que ceux proposés par le cadre institutionnel établi par les autorités » : OL DZA 12/2021, 27 déc. 2021, pp. 4-5.
51 Ces deux mouvements et seize personnes ont ainsi été inscrits sur la « liste nationale des personnes et entités terroristes », sans procès préalable : arrêté du 6 févr. 2022 portant inscription sur la liste nationale des personnes et entités terroristes, JORA n° 11 du 13 févr. 2022, pp. 24-26.
52 Fondé en 2001, à la suite du Printemps noir de Kabylie, qui fit près de 130 morts, le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), radicalisé en Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) à partir de 2013, profitait d’un vide politique dans la région, en raison du discredit des partis politiques traditionnels et d’une relative inertie politique au niveau national, tout au long des quatre mandats du président Bouteflika. A contrario, le 22 février 2019 suscita un « réenchantement » en faveur d’un changement démocratique dans une Algérie plurielle où se mêlaient drapeau national et emblème amazigh, pour des personnes jusque-là tentées par le discours du MAK. L’avènement du Hirak constitua ainsi un frein à son expansion, alors que la répression des autorités lui offrit une publicité inégalée jusque-là.
53 Décret législatif n° 92-03 du 30 sept. 1992 relatif à la lutte contre la subversion et le terrorisme, JORA n° 70 du 1er oct. 1992, pp. 1490-1493. V. Mouloud Boumghar, « L’hypothèse de la “guerre contre le terrorisme” en Algérie : quand l’exception devient la règle ou la transformation du droit commun et des rapports entre autorités civiles et militaires sous l’effet des mesures dérogatoires et exceptionnelles », in Julie Alix et Olivier Cahn, L’Hypothèse de la guerre contre le terrorisme, Paris, Dalloz, 2017, pp. 15-28.
54 Ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant code pénal, JORA n° 11 du 1er mars 1995, pp. 7-8.
55 V. OL DZA 12/2021, op. cit., 14 p.
56 Ces « constantes » pourraient ainsi servir de fondement constitutionnel au Code de la famille de 1984, y compris après les amendements de 2005, en ce qu’il maintient encore des dispositions discriminatoires à l’égard des femmes, notamment en matière de successions, malgré la disposition constitutionnelle selon laquelle sont prohibées les discriminations pour cause de sexe (art. 37).
57 En ce sens : “Measures of limitation are subject to the conditions of legality, necessity proportionality and non-discrimination. Legal provisions which provide for such limitations must include the nature of the right to be limited, the nature and the extent of the limitation, the relation between the limitation and its purpose, and why it is necessary to limit the exercise of the right instead of a less restrictive means to achieve the purpose. Article 34 should be amended to reflect these elements, as well as to remove the protection of “fundamentals of the nation” as a basis for the limitation of the exercise of human rights”, International Commission of Jurists, Flawed and Inadequate. Algeria’s Constitutional Amendment Process. A Briefing Paper, Genève, oct. 2020, p. 24. Le Conseil constitutionnel algérien avait pourtant affirmé, dans sa toute première décision, qu’un droit constitutionnel dont les conditions d’exercice sont renvoyées à la loi « ne peut faire l’objet que des seules restrictions nécessaires, dans une société démocratique, pour protéger les libertés et les droits énoncés dans la Constitution et en garantir le plein effet » : décision n° 1-D-L-CC 89 du 20 août 1989 relative au Code électoral, JORA n° 36 du 30 août 1989, pp. 871-874.
58 Décision n° 24/D.CC/21 du 7 juin 2021 relative au contrôle de la constitutionnalité de l’ordonnance relative à la protection des informations et des documents administratifs, JORA n° 45 du 9 juin 2021, pp. 7-9.
59 Ministère de l’Intérieur, Avant-projet de loi organique n° … du … correspondant au … relative aux associations.
60 AL DZA 5/2022, Mandats de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l'homme et de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, 15 sept. 2022.
61 Certes, « la liberté d’exercice des cultes » (art. 51, al. 2), désormais proclamée au pluriel, est toujours garantie, mais elle relève encore du vague « respect de la loi » (art. 51, al. 2) et désormais des constantes nationales (art. 34, al. 2), c’est-à-dire de l’ordonnance n° 06-03, particulièrement discriminatoire et restrictive de cette liberté : ordonnance n° 06-03 du 28 févr. 2006 fixant les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulmans, JORA n° 12 du 1er mars 2006, pp. 23-24. V. Zohra-Aziadé Zemirli, Le statut juridique des non-musulmans en Algérie. L’exemple des évangéliques et des ahmadis, Paris, L’Harmattan, 2020, pp. 203-244.
62 T. Sidi M’hamed, Saïd Djabelkhir, 22 avr. 2021, n° 21/00483.
63 « L’islamologue Saïd Djabelkhir relaxé en appel », TSA, 1er février 2023.
64 Abdelghani Aichoun, « Ils se sont manifestés le jour du procès de Djabelkheir : La “Badissia novembaria”, entre la “Phénicie” et l’“État militaire” », El Watan, 5 avr. 2021.
65 V. Massensen Cherbi, « L’armée algérienne est-elle un gardien de la Constitution ? Du rôle de bouclier de la Révolution socialiste à celui de garant des intérêts vitaux et stratégiques du pays », RFDC, vol. 128, n° 4, déc. 2021, pp. 47-75.
66 V. Myriam Aït-Aoudia, « Dépolitisation de l’armée et fin du régime du parti unique en Algérie en 1989. Retour sur un impensé », in Les armées dans les révolutions arabes : positions et rôles, Rennes, PUR, 2015, pp. 33-46 et Myriam Aït-Aoudia, L’expérience démocratique en Algérie (1988-1992). Apprentissages politiques et changement de régime, Paris, Les presses de Sciences Po, 2015, pp. 114-124.
67 En ce sens : “Such broad provisions have the potential to encourage and facilitate the military’s intervention in civil and political matters” : International Commission of Jurists, op. cit., p. 10.
68 Mohamed Boussoumah, Documents constitutionnels et politiques. 1919-2018, Tome II, Alger, OPU, 2019, pp. 185 et 347.
69 Massensen Cherbi, « L’armée algérienne est-elle un gardien de la Constitution ? Du rôle de bouclier de la Révolution socialiste à celui de garant des intérêts vitaux et stratégiques du pays », op. cit., pp. 61-64.
70 Ni responsabilité politique ni impeachment, tandis que l’état d’empêchement pour cause de maladie grave et durable était impraticable : Massensen Cherbi, « Les mécanismes constitutionnels de l’autoritarisme algérien face au Hirak », op. cit., pp. 167-169.
71 Fatiha Benabbou-Kirane, « La nature du régime politique algérien », RASJEP, vol. 44, n° 1, 2007, p. 60
72 Nathalie Bernard-Maugiron, « Les amendements constitutionnels de 2019 en Egypte : vers une consécration de la dérive autoritaire du régime », RFDC, vol. 121, n° 1, 2020, pp. 16-17. V. aussi Massensen Cherbi, « La place de l’armée dans les Constitutions d’Afrique du Nord : étude de droit comparé entre l’Algérie, l’Égypte, la Libye, le Maroc et la Tunisie », Rosa Luxemburg Stiftung, janv. 2023, 25 p.
73 Slogan diabolisé par les autorités militaires : v. « Gaid Salah : la position de l’ANP émane de sa conviction de la nécessité de sauvegarder la sécurité et la stabilité de l’Algérie », APS, 7 nov. 2019 et Ghedjati, « Malheur aux traîtres de la patrie », El-Djeich, n° 682, mai 2020.
74 Décret présidentiel n° 21-539 du 26 déc. 2021 portant composition, organisation et fonctionnement du Haut conseil de sécurité, JORA n° 99 du 29 déc. 2021, pp. 9-10.
75 Décret présidentiel n° 16-255 du 27 sept. 2016 portant ratification de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance adoptée par les Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union africaine, à Addis Abeba (Éthiopie) le 30 janv. 2007, JORA n° 59 du 9 oct. 2016, pp. 4-12.
76 Iddir Nadir, « Il a été lancé par un jeune algérois sur une chaîne arabe “Yetnahaw gaâ !”  Ce slogan qui galvanise les foules », El Watan, 31 déc. 2019.
77 La révision constitutionnelle de 2020 a d’ailleurs maintenu le président de la République à la tête du Conseil supérieur de la magistrature (art. 180, al. 1er ), fonction qu’il peut tout au plus déléguer au premier président de la Cour suprême (art. 180, al. 3), qu’il nomme par ailleurs (art. 92, al. 1er , 4). En outre, si le juge du siège est en principe inamovible (art. 172, al. 1er ), il « ne peut être révoqué, ni faire l’objet de suspension ou de cessation de fonction, ni d’une sanction disciplinaire, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, sauf dans les cas fixés par la loi et conformément aux garanties qu’elle lui accorde et en vertu d’une décision motivée du Conseil Supérieur de la Magistrature » (art. 172, al. 2). Or, en attendant un « délai raisonnable » de transposition législative (art. 225), la loi organique n° 04-11 du 6 sept. 2004 portant statut de la magistrature, ne garantit le « droit à la stabilité », à l’égard des jeunes magistrats, qu’au terme d’une période de dix ans (art. 26, al. 1er ) et quand bien même, une fois celle-ci acquise, les magistrats du siège peuvent être mutés « si les intérêts et le bon fonctionnement du service de la justice l'exigent » (art. 26, al. 2) : JORA n° 57 du 8 sept. 2004, pp. 11-20.
78 L’Algérie reconnaît en effet, depuis 1989, la primauté des traités ratifiés sur ses lois internes (2020, art. 154).

Les opinions représentées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’Arab Reform Initiative, de son personnel ou de son conseil d'administration.