Impossible « réforme » du secteur de la sécurité ? Syndicats, organisations internationales et collectifs militants dans la question policière

La police intervient dans les manifestants lors d’une manifestation contre le référendum qui se tiendra le 25 juillet pour la nouvelle constitution, devant le ministère de l’Intérieur. Tunis, Tunisie, 22 juillet 2022. ©Yassine Gaidi/Agence Anadolu

Le 29 août dernier, Taoufik Charfeddine, ministre de l’Intérieur à l’époque, annonce la suspension des cotisations de tous les syndicats sécuritaires à travers une note interne, et déclare quelques jours plus tard en conférence de presse l’illégalité des prélèvements syndicaux sur salaire, estimés à un montant de 40 millions de dinars par an. Ces annonces, si elles marquent un tournant dans les relations entre pouvoir politique et syndicats policiers, relancent également la question du contrôle sur l’action policière, et de la reddition des comptes.

Responsable de la torture des opposant.e.s, de la répression des mouvements sociaux et de la surveillance des politisations (plus ou moins) dissidentes, l’appareil de sécurité a joué un rôle majeur dans le maintien du régime de Ben Ali. La nécessité d’un « changement » dans le secteur de la sécurité devient un enjeu public, et la dissolution de la police politique était ainsi dès janvier 2011 au cœur des demandes populaires. La « réforme du secteur de la sécurité » (RSS) semble s’être affirmée comme un leitmotiv dans l’espace public : traduit dans les discours officiels et institutionnels, il a été importé par des organisations internationales. Plutôt qu’un concept clair, la RSS s’est imposée comme un mot d’ordre aux contours flous, permettant d’y inscrire des pratiques parfois antagonistes : des programmes de police de proximité du PNUD aux tentatives infructueuses de mise en place d’un code de déontologie en passant par la revendication du droit syndical policier. Les syndicats policiers, dans leur stratégie de soustraction au contrôle politique, ont ainsi abondé dans la rhétorique de la « sécurité républicaine » (amn joumhouri), entendu comme une allégeance des forces de sécurité à la République et non au régime. A cette rhétorique s’ajoute celle de la lutte anti-terroriste, développée par les syndicats de police sur le mode d’une mise en martyrs des policiers décédés en exercice et systématiquement mobilisée lors des controverses sur l’action policière. Malgré cette cacophonie réformatrice, force est de constater que beaucoup d’espoirs de changement dans les pratiques policières sont restés lettres mortes. Cet article revient sur les actions menées au nom du changement au sein de l’institution sécuritaire, en prenant garde à exposer les rapports de force entre les différents groupes sociaux investis.

Les syndicats de police et l’autonomisation du secteur de la sécurité

Les premières mobilisations policières appelant à la constitution d’un syndicat remontent au 15 janvier 2011, soit le lendemain de la fuite de Ben Ali1Les éléments descriptifs suivant sont tirés d’une trentaine d’entretiens avec des policiers syndicalistes du SNFSI et du SFDGUI à Tunis, Sfax et Gafsa entre octobre 2017 et juin 2020. . Dans un contexte où les agents étaient pris pour cibles par la population, le ministère de l’Intérieur, alors dirigé par l’armée, donne l’ordre de remettre les armes aux militaires. En réaction, à Sfax, des agents des forces de sécurité intérieures (toutes spécialités confondues) rassemblés dans la caserne décident de se constituer en syndicats et organisent l’élection de leurs représentants. Les mobilisations s’étendent alors dans plusieurs régions et à la capitale. Le 17 janvier à Tunis, les agent.e.s2Ce rapport reprend les normes de l’écriture inclusive, à laquelle il déroge toutefois en présence de groupes très fortement masculinisés. La distinction est importante car, si les femmes sont présentes au sein des syndicats policiers et même mises en avant lors de certaines mobilisations, elles n’occupent pas de positions décisionnelles majeures. de la sécurité publique profitent notamment de l’absence de leurs supérieurs pour s’organiser, et se rassembler devant le ministère de l’Intérieur.

Dès février 2011, des élections des représentant.e.s syndicaux sont organisées dans les casernes dans plusieurs régions (Sfax, Gafsa, Gabès), des comités directeurs de syndicats régionaux composés de neufs agent.e.s sont désignés. Des négociations pour la légalisation des syndicats policiers et l’élaboration des premières demandes émergent dans le même temps. Les représentant.e.s nouvellement élu.e.s et/ou désigné.e.s (sous-officier.ère.s ou gardien.ne.s de la paix pour la plupart) rencontrent et négocient leur droit syndical avec les directeurs généraux du ministère de l’Intérieur. La création des syndicats s’est ainsi faite en conflit avec une partie de l’administration sécuritaire, qui a développé plusieurs stratégies pour tenter d’avoir la main sur ces organisations : cooptations, divisions syndicales, ou encore poursuite en justice de représentants syndicaux policiers.

A l’échelle nationale, le Syndicat national des forces de sécurité intérieure (SNFSI) est le premier à avoir été créé en avril 2011, puis légalisé après la modification du statut des FSI le 25 mai 20113Ce décret intervient après l’autorisation de l’activité syndicale sous forme de communiqué interne par Farhat Rajhi le 24 février 2011, en attendant l’amendement des statuts des FSI. Cette autorisation a elle-même été obtenue après d’intenses conflits entre l’élite ministérielle et les agents mobilisés pour la création des syndicats. Le décret-loi n° 2011-42 du 25 Mai 2011, modifiant et complétant la loi n° 82-70 du 6 août 1982, portant statut général des forces de sécurité intérieure est accessible à l’adresse suivante : https://legislation-securite.tn/fr/law/43565 . Le SNFSI rassemble les différents corps, unités du ministère de l’Intérieur et forces portant arme : Garde nationale, Police, Protection Civile, Gardiens de prison. Les premiers à s’être retirés sont les agents des Brigades des Unités d’Intervention, sous-direction du ministère de l’Intérieur en charge du maintien de l’ordre (Brigades de l’ordre public), de la protection des sites diplomatiques, forces spéciales et brigades anti-terroristes, police canine, sécurité des prisons etc. Ils organisent le 3 juillet 2011 les élections du comité exécutif de leur syndicat, le Syndicat des fonctionnaires de la direction générale des unités d’intervention (SFDGUI). Chaque corps finit par se doter d’un syndicat, en plus du SNFSI qui rassemble l’ensemble des forces portant armes à l’exception de l’armée et des douanes. A la différence du SFDGUI, le SNFSI rassemble principalement des agents des corps civils. Le SFDGUI a commencé dès 2012 à nouer des alliances, d’abord avec le syndicat de la Garde nationale, puis à multiplier les accords avec d’autres organisations syndicales : prison, douane momentanément, sécurité publique, police des frontières et depuis juillet 2020, police de la circulation. Ils se désignent depuis mars 2018 comme jabha naqabia, le Front syndical, et disent rassembler environ 36 000 adhérent.e.s, un chiffre bien inférieur à celui avancé par le syndicat concurrent, le SNFSI, de 62 000. En l’absence de transparence à l’égard des procédures d’adhésion aux différents syndicats, ces chiffres qui relèvent de déclarations des policiers syndicalistes eux-mêmes4Nous estimons néanmoins que les chiffres avancés sont plus fiables : nous avons pu consulter leurs registres d’adhésions en juin 2020 qui mentionnaient à l’époque 30 342 adhérent.e.s au syndicat. Une campagne de régularisation des adhésions est en cours jusqu’en décembre prochain, et devrait permettre davantage de transparence dans les taux de syndicalisation dans la police et la Garde nationale. , sont à considérer avec précaution.

La faiblesse du cadre législatif autour de la fonction syndicale policière, au cœur de la polémique actuelle et des conflits entre syndicats et ministère, trouve ses racines au moment de leur création. Le décret leur permet de s’exprimer dans les médias, élément qu’ils mobiliseront afin de faire valoir leurs agendas et qui s’inscrit dans cette dynamique d’autonomisation vis-à-vis des pouvoirs publics5Certains policiers sont ainsi particulièrement médiatisés et entretiennent des positions critiques vis-à-vis de l’action gouvernementale. Les syndicats policiers se sont d’ailleurs professionnalisés en la matière, en créant des cellules responsables de la communication et des relations médias. La gestion de leur page Facebook, la création de contenu multimédia sont assurées par des professionnels en communication. . Si le décret modifiant les statuts les obligent à être indépendants des autres confédérations syndicales, à déposer leurs statuts auprès du ministère de l’Intérieur et leur interdit le droit de grève, il ne précise pas la fonction des organisations syndicales policières, ni le cadre de leurs relations avec l’administration, les modes de désignations de leurs représentants ou encore les procédures de retenues sur salaires des adhérent.e.s. Les modes de fonctionnement des syndicats sont alors tirés de leur règlements internes, votés lors des congrès syndicaux. Des tentatives de réglementer l’activité syndicale policière ont été mises en place, en vain6Une circulaire non publiée datant du 4 juin 2012 encadrait le travail syndical en prévoyant notamment une obligation de présence au travail, le règlement de leur situation administrative et leur comptabilité, l’interdiction de l’utilisation du sceau de la République etc. .

Ces syndicats ont tendance à reprendre les codes et les fonctions des comités d’entreprise : des prix préférentiels sont négociés en faveur des adhérents pour différents services allant des forfaits téléphoniques au pèlerinage en passant par les cours particuliers pour les enfants. Sous Ben Ali, les méthodes d’encadrement et d’assujettissement des agents du rang passaient par des salaires particulièrement bas et des conditions de travail particulièrement difficiles. L’arrivée des syndicats, dont l’une des fonctions est la négociation des heures de travail, des augmentations salariales, des demandes de transfert ou encore des promotions a pu être accueillie favorablement par les agent.e.s, en particulier les moins gradé.e.s. En agissant comme médiateurs entre les bases et la hiérarchie, ils tendent parfois à subvertir l’ordre hiérarchique.

« Le syndicat fait l’équilibre. Sa spécialité c’est la politique sécuritaire. Il fait l’équilibre, le chef, le responsable sécuritaire il doit toujours travailler avec le syndicat. C’est plus possible que tu prennes le pouvoir et tu fais ce que tu veux. […] Regarde, pour être syndicaliste, il faut savoir parler, il faut faire un équilibre entre l’administration, et les adhérents. Quand ils viennent avec toi les adhérents, faut essayer d’être le mieux possible, écouter les deux parties, et faire l’équilibre »7Entretien avec un membre du comité exécutif du SFDGUI à Sfax, février 2020. .

Cet équilibre, au sein duquel le syndicat joue le rôle de maillon intermédiaire entre les bases et la hiérarchie, a permis aux acteurs syndicaux policiers d’accéder à des positions privilégiées dans la négociation de leurs intérêts. Certains ont d’ailleurs connu des trajectoires professionnelles ascendantes fulgurantes, sans avoir suivi les formations, ni obtenu les concours des grades en question. À la suite d’accords entre les syndicats et le gouvernement, dits de régulation du parcours professionnel, environ 13000 sous-officiers ont obtenu plusieurs grades entre 2013 et 20158Entretien officier de la Garde nationale, Tunis, avril 2019. Voir également le décret n° 2014-3632 du 30 septembre 2014 portant approbation des listes de promotion établies suivant les critères de régularisation du parcours professionnel des agents du corps de la sûreté nationale et de la police nationale, du corps de la garde nationale et du corps de la protection civile au titre de l’année 2014. Disponible : https://legislation-securite.tn/fr/law/44772 .

Le projet répression des attaques contre les forces armées ou le chèque en blanc du législateur au sécuritaire

En novembre 2017 lorsque deux policiers furent poignardés en exercice, causant le décès de l’un d’entre eux9https://www.turess.com/assabah/1143797 , les syndicats de policiers ont appelé à nouveau à l’adoption de ce qu’ils nomment « la loi de protection de l’agent de sécurité ». Cette dernière est un projet particulièrement controversé datant de 201510Le projet de loi est consultable à l’adresse suivante : https://legislation-securite.tn/fr/node/54196 . Le projet écrit par les services des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur, des membres du cabinet du ministre de l’époque (affilié au parti Ennahdha) Ali Larayedh, est décrié par plusieurs associations et organisations de défense des droits humains pour sa portée liberticide11Pour un récapitulatif des dispositions potentiellement liberticides du projet, les opposants et en favorables, voir https://inkyfada.com/fr/2015/06/09/projet-de-loi-repression-des-atteintes-aux-forces-armees/ . Il élargit notamment l’usage de la force à la protection des bâtiments et institutions publiques en garantissant l’absence de poursuites aux agents, condamne les « agressions et menaces » faites aux agents, mais aussi à leurs familles etc. Alors que le projet était en cours d’examen à l’Assemblée des représentants du peuple, le SFDGUI publie un communiqué signé également par d’autres syndicats (sécurité publique et garde nationale) dans lequel il appelle à l’examen du texte de loi, sans quoi il appellerait les unités d’intervention à cesser la protection des personnels politiques.12Communiqué disponible à l’adresse suivante : https://www.businessnews.com.tn/les-syndicats-securitaires-menacent-les-deputes,520,75799,3 Ce recours à la « colère comminatoire »13Jobard, Fabien. « Colères policières », Esprit, vol. -a, no. 3-4, 2016, pp. 64-73. policière a permis une réintroduction du texte à l’ordre du jour de l’ARP, avant d’être retiré avec la promesse du ministre de l’Intérieur de l’époque, Lotfi Brahem, d’en déposer une version amendée.

A partir de mars 2020, le projet est en révision au sein de la commission de la législation générale à l’Assemblée. Les députés auditionnent alors plusieurs membres des syndicats policiers, et des représentants d’associations de défense des droits humains. Les membres du SFDGUI sont auditionnés en mai 2020, en particulier son porte-parole qui tout en défendant la nécessité d’une protection de l’agent, critique mollement le projet de loi discuté. A cet égard, ses propos sont similaires à ceux du représentant du SNFSI auditionné en mars : les syndicats n’auraient été que peu consultés au moment de la rédaction d’un texte qu’ils appelaient pourtant de leurs vœux, et ce projet de loi était condamné à “ne pas passer” tant certains de ses articles portent atteinte à des droits et libertés garantis par la Constitution de 201414Certains syndicalistes interrogés y voient une intention délibérée de la part du pouvoir politique, laisser des articles liberticides, afin que le projet de loi en l’état ne passe pas. Ils fustigent également l’appellation du projet de loi, le choix du terme « répression » (zajr) auquel ils préfèrent « protection » (himaya). Entretiens avec des syndicalistes membres du SFDGUI et du SNFSI, Tunis, 2019-2020. . Une version amendée est finalement adoptée par la commission de législation générale, et soumise à la discussion et au vote en plénière à partir du 6 octobre 202015Ces amendements ne modifient que peu la portée du texte. Ils concernent notamment sur l’article 18 portant sur l’irresponsabilité de l’agent qui, dans le cadre de ses fonctions inflige coups et blessures, est soumis à  l’exigence de « proportionnalité ». . Cette dernière est soutenue par la totalité des syndicats de policiers dont les porte-paroles multiplient leurs interventions dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ils appellent de leurs vœux à l’adoption de cette loi, mobilisant l’argument de la lutte contre le terrorisme comme raison principale de la nécessité de ce cadre légal pour, selon leurs mots, « protéger » les agents. Cette interpellation à travers les médias se double d’une stratégie plus offensive, et illégale, sur les réseaux sociaux à l’égard des opposants à la loi en question. Des militant.e.s voient leurs photos publiées, leurs coordonnées personnelles partagées sur des pages publiques affiliées à des syndicats de police et/ou des pages privées de syndicalistes policiers. La branche locale du SNFSI de Sfax porte plainte contre une militante pour un statut publié sur Facebook et huit militant.e.s (partis de gauche, associations féministes, de défense des droits humains et des personnes LGBTQI+) ayant participé aux manifestations contre le projet de loi. Ils et elles sont convoqué.e.s au commissariat à la suite d’une plainte déposée par le syndicat de la sécurité publique et la direction du secteur de sécurité du Bardo16https://www.letemps.news/2022/10/11/nouveau-face-a-face-judiciaire-entre-jeunes-activistes-et-syndicats-securitaires/?fbclid=IwAR2uGiqsZd0tDGQt67h3OOsiqG6_1NWc_vficYUnMC3AekvYH7U4Oi_RCgU . Cette même branche régionale a organisé en mars 2021 une manifestation au cours de laquelle son secrétaire général a accusé les militant.e.s contre les violences policières d’apostasie, et les menace de représailles17Les termes exacts étaient « espèces de communistes, de mécréants, agents des américains », « les athées, les homosexuels, ennemis de Dieu, chiens, nous sommes venus à vous », « gauchiste, racaille, les hommes sont venus à toi ». Vidéo disponible à l’adresse suivante : Extraits vidéos de la manifestation accessible sur le lien suivant : http://kapitalis.com/tunisie/2021/02/01/grave-derapage-du-syndicat-de-police-a-sfax-les-agents-insultent-les-militants-de-gauche-et-les-qualifient-de-koffar-video/ .

Cette stratégie leur a notamment permis de faire tomber les plaintes des citoyen.ne.s qui pesaient sur eux, et même de les condamner, inversant ainsi les positions d'accusé.e.s et de victimes18Les citoyens écopaient dans la grande majorité des cas d’une amende qui ne dépasse pas les 120DT. Mais la plainte déposée contre les agents était reçue comme non valide. Depuis l’an dernier plusieurs jugements rendus ont retenu des peines plus sévères contre des militant.e.s, condamné.e.s à des peines allant de trois à six mois de prison ferme. . Ils mobilisent alors, et de manière accrue depuis quelques années, l’article 125 du code pénal, datant de 1913 et donc de la période coloniale, qui punit d’un an d’emprisonnement et de 120 dinars d’amende l’« outrage » à fonctionnaire public.

Outre le recours au droit, les syndicats de police ont également employé des méthodes moins légales dans la défense de leurs collègues impliqués dans des faits de violence. Ces techniques d’intimidation ont pris des proportions autrement plus importantes en février 2018, lorsque des membres du syndicat des fonctionnaires de la direction générale de la sécurité publique (SFDGSP, allié au SFDGUI) manifestent armés devant le tribunal de Ben Arous et pénètrent dans l’enceinte du tribunal en réaction à l’émission de mandats d’arrêt contre trois de leurs collègues. Ils sont accusés de torture envers un détenu : ce dernier rapporte aux membres de l’Instance nationale de prévention contre la torture (INPT) avoir été violenté, aspergé de gaz lacrymogène, dénudé sous la pluie. Les syndicats ont quant à eux recours à une rhétorique bien rôdée, qui n’est pas tant éloignée de la communication officielle du ministère, visant à criminaliser la victime dans les médias où cette dernière est présentée comme violente et coupable d’actes terroristes19En cas de décès de la victime, la communication officielle du ministère a pour coutume de faire valoir une overdose de la victime qui aurait ingéré les drogues possédées. Ces stratégies de criminalisation des victimes dans les médias sont assez systématiques dans les affaires de violences policières, en Tunisie comme ailleurs, comme le montre Codaccioni, Vanessa. 2018. La légitime défense. Homicides sécuritaires, crimes racistes et violences policières, Paris, CNRS Éditions. . Le SFDGUI quant à lui publie un communiqué dans lequel il appelle les agents à boycotter la sécurisation du tribunal tant que leurs collègues seront en état d’arrestation, de même qu’à ne pas comparaitre devant les tribunaux dans le cadre des affaires relevant de l’exercice de leurs fonctions. L’identification par la justice des auteur.e.s d’un usage excessif de la force s’avère ainsi être un des obstacles premiers dans les affaires de violences policières. Dans les affaires de justice transitionnelle également, sur la soixantaine de mandat d’amener émis à l’encontre de fonctionnaires de sécurité, aucun n’a été appliqué20Entretien avec un avocat, anciennement sous-directeur au sein de l’IVD. .

Les mouvements contre la violence policière : la lutte contre l’impunité en priorité

Face aux intimidations et à la pression des syndicats de police, des collectifs citoyens se sont formés contre l’impunité policière dans les affaires de meurtres perpétrés par des policiers. Lancée sur les réseaux sociaux fin 2015 par des groupes de militant.e.s féministes et de défense des droits humains, la campagne hasebhom (demandez-leur des comptes) vise principalement à manifester une opposition au projet de loi 25/2015. Le collectif appelle régulièrement à la mobilisation contre le texte de loi, entre 2015 et octobre 2020, notamment lorsque le texte était examiné par les députés, sous la pression des syndicats de police.

Des collectifs se forment régulièrement autour des familles de victimes. Au sein de ces coalitions autour des familles de victimes, les avocat.e.s jouent un rôle majeur d’interpellation dénonciatrice via les médias, notamment au sujet des irrégularités judiciaires dans ces affaires21Ces avocat.e.s sont souvent par ailleurs engagé.e.s auprès de la LTDH ou de l’ATFD. . Notons que l’affaire Omar Laabidi22Omar Laabidi, supporter du club tunisien, est décédé lors d’une poursuite policière après un match au stade de Radès. Encerclé par une brigade policière aux abords d’une rivière, il s’adresse aux agents en leur disant qu’il ne sait pas nager, ce à quoi l’un deux aurait répondu selon des témoins, « t’alem ‘aoum », apprend à nager. Omar saute dans la rivière et son corps est retrouvé le lendemain. Quatorze agents sont mis en examen pour homicide involontaire et non assistance à personne en danger. a été l’occasion d’une coalition de plusieurs acteur.ice.s de la société civile, autour de la lutte contre les violences policières, et l’impunité. Le 17 janvier dernier, plusieurs organisations nationales, dont la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) annoncent rejoindre la campagne taalem oum qui vise à ce que justice soit faite pour Omar, mais aussi de manière plus générale contre la violence policière. Une mobilisation est organisée devant le tribunal le jour du procès, et rassemble groupes de supporters et associations de société civile (principalement des membres de la LTDH et du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) et du syndicat des journalistes (SNJT).

Au-delà des mobilisations, l’engagement contre les violences policières peut prendre la forme d’une prise en charge légale des personnes en garde à vue, mise en place notamment par Avocats sans frontières et la LTDH qui fournissent des avocats aux personnes arrêtées23Sur les deux dernières années, environ une centaine d’aides légales ont été fournies sur la base du programme « Protéger les droits des personnes gardées à vue ». Source : Livre blanc « renforcer l’implication de la société civile" , projet « l’Alternative » (ASF, ATL MST SIDA).  . Ces deux organisations sont également particulièrement investies dans la sensibilisation autour de la loi 5-2016 qui garantit, entre autres, la présence d’un.e avocat.e pendant la détention et limite à 48 heures la durée de la garde à vue. Le programme Sanad mis en œuvre par l’Organisation mondiale contre la torture depuis 2013 offre également aux victimes de torture et à leurs familles une aide juridique, mais aussi psychologique et médicale24De 2013 à 2021, le programme a pris en charge 410 victimes directes de torture. Le rapport de l’OMCT montre que l’immense majorité des sévices infligés sont le fait d’agent.e.s de la police et de la Garde nationale. Source : Rapport annuel Sanad, OMCT, 2022. . Il existe aussi des initiatives plus isolées comme celle du parti tunisien fondé par Maryem Mnaouar qui prend également en charge des frais légaux des familles de victimes de violence policière.

Ces efforts se heurtent toutefois à la difficulté de documenter et évaluer tant l’ampleur que la nature des violences policières25Une première initiative en la matière a été menée par le journal en ligne Inkyfada, qui recense les personnes tuées par la police depuis 2011 et leurs suites judiciaires. https://inkyfada.com/fr/webdoc/tue%C2%B7es-par-la-police-depuis-2011-les-violences-policieres-en-chiffres/ . La division des mouvements, associations et organisations prenant en charge la question des violences policières complique la mise en commun des données relatives à l’usage excessif de la force par les agents de police. Pourtant, la récurrence des blessé.e.s et tué.e.s par l’action policière laisse penser qu’il s’agit là d’un phénomène de société et de violences systémiques. Face aux discours du « fruit pourri », de l’écart individuel à l’aune duquel il s’agirait de ne pas juger de l’action policière dans son ensemble, il apparait plus que jamais indispensable de développer un outil statistique sur les violences policières. Par ailleurs, la quasi-impossibilité d’obtenir des données de la part du ministère est un obstacle majeur à la documentation tant de l’action policière en général que de ses déviances. Les tentatives d’obtention d’informations sur le suivi des dossiers auprès de l’administration du ministère se soldent par des refus : l’Inspection générale du ministère de l’Intérieur ne communique aucune donnée au sujet des enquêtes administratives et leurs suites, et les demandes d’accès à l’information formulées à ce sujet sont systématiquement rejetées.

Les organisations internationales dans la « réforme du secteur de la sécurité »

Les programmes de réformes qui se présentent sous forme de « package démocratisation des forces de sécurité » sont sujets à un certain nombre de réticences de la part des acteurs ministériels. Ces packages ont pour caractéristiques de réunir à la fois des aspects liés à la « démocratisation » des forces de sécurité26Par « démocratisation » est ici entendu, par les organisations internationales, l’introduction de mécanismes de contrôle sur l’action policière (souvent à dose homéopathique), la formation des FSI au respect des droits humains, mais aussi la promotion des pratiques de transparence au sein de l’Institution sécuritaire (open data, visibilité sur la structure et l’organisation de l’appareil sécuritaire, mise en place de stratégies de communication etc.). , mais comportent aussi des pans plus techniques à travers des formations et dons de matériels. Le Programme d’appui à la réforme et à la modernisation du secteur de la sécurité (PARMSS) est une convention signée entre le ministère de l’Intérieur, la Présidence du gouvernement et la Commission européenne en 2015 d’un montant de vingt-trois millions d’euros 27Le gros de ce budget (environ 15 millions d’euros) a été consacré à la réhabilitation de centres de commandement aux frontières (achats de matériel, formations, travaux pour la réalisation des infrastructures etc). Un peu plus d’1 million et demi d’euros ont été consacrés au projet de commission de déontologie. Le projet s’est achevé à la fin de l’année 2020 et un PARMSS II est en cours de discussion. . Il comporte trois objectifs principaux : le « soutien » technique au contrôle des frontières, la réforme légale du secteur du renseignement et l’adaptation de l’action policière aux standards internationaux en matière de droits humains (ici la redevabilité). De façon peu étonnante, c’est bien le troisième objectif qui a suscité le plus de réticences et d’obstacles à sa mise en œuvre. Celui-ci prévoyait entre autres la mise en place d’une commission de déontologie dont les activités seraient adossées à un code de conduite des forces de sécurité intérieures. La convention prévoit également la participation d’«organisations de société civile », et la possibilité pour la commission, indépendante du ministère de l’Intérieur, de traiter les plaintes des citoyen.ne.s. Huit ans après la signature de la convention, et alors que les aspects plus techniques du programme d’appui ont été mis en application, ni la commission ni le code de conduite n’ont vu le jour. Les obstacles émanent tant de l’extérieur de l’institution sécuritaire à travers les syndicats, que des cadres ministériels eux-mêmes. L’instabilité de ces derniers, elle-même indexée au poste de ministre particulièrement fragile depuis 2011, est plutôt de tendance à entraver les initiatives allant dans le sens d’une réforme des structures et des pratiques de l’appareil sécuritaire.

Le programme de police de proximité mené par le PNUD a lui aussi échoué à inclure une composante se référant à la déontologie des forces de sécurité. Fruit de discussions et de réunions tenues entre le ministère de l’Intérieur tunisien et le PNUD depuis 2011, le projet de police de proximité est officiellement initié en 2013. Avec des fonds norvégiens, belges, japonais, anglais, canadiens et états-uniens portant le budget total à plus de 14 millions de dollars28Plaquette du PNUD à propos du projet. pour la période allant de mai 2013 à 2022, il est, sur le plan financier, le deuxième projet de démocratisation des forces de sécurité le plus important29La plupart des dépenses concernent l’organisation de formations en RSS (hôtels, consultant.e.s), la réhabilitation des commissariats (achats de matériel informatique, de véhicules), recours à des entreprises privées pour la réalisation d’audits etc. Le programme police de proximité a été renouvelé en 2020 et continue aujourd’hui. . Selon les plaquettes distribuées par le PNUD et le ministère de l’Intérieur, le projet est censé « répond[re] au besoin de contribuer à l’émergence d’une police résolument plus proche du citoyen, respectueuse de l’État de droit et des valeurs démocratiques, et rend[re] compte de son action ». Or, de ces « besoins », seule la volonté de « rapprochement » entre police et citoyens semble avoir été traduite en priorité par les pouvoirs publics, dans la mise en œuvre du projet à l’échelle locale. Le fonctionnement du projet est le suivant : les commissariats désignés voient leur partie administrative (délivrance de casiers judiciaires, papiers d’identité etc) séparée de la partie judiciaire, les agents reçoivent des formations de communication avec les citoyens, et des conseils locaux de sécurité sont formés. Ces conseils rassemblent des agents du commissariat, des représentants des autorités locales et des représentants d’associations (croissant rouge, associations de développement local etc). Les activités menées au nom du projet prennent soin de ne pas aborder les violences policières, et tendent à se concentrer sur l’amélioration de l’image de l’institution policière : campagnes de sensibilisation contre l’usage de drogues, contre les violences faites aux femmes, sur la sécurité routière etc. Ici encore, les éléments du projet visant à introduire des modifications dans l’action policière ainsi que des procédures de redevabilité en cas de déviances policières sont contournées. Un code de conduite a été élaboré par les équipes du projet au termes de plusieurs tables rondes rassemblant des cadres ministériels, des syndicalistes policiers, et a été ouvert à la consultation publique30Entretien, chargé du projet PNUD, janvier 2018. Le code est disponible à l’adresse suivante : https://legislation-securite.tn/fr/law/54718 . Finalisé dans sa rédaction début 2017, ce code n’a cependant jamais vu le jour.

 

Depuis le 25 juillet 2021 : un tournant dans le contrôle politique des forces sécuritaires ?

Dire que la prise de pouvoir par Kais Saied a été initialement bien accueillie dans les milieux syndicalistes policiers tiendrait de l’euphémisme. Au cœur de cet engouement, la destitution de plusieurs cadres sécuritaires aux soupçonnées accointances avec le parti Ennahdha. Parmi eux, Lazhar Loungou, ancien responsable des renseignements, était une personnalité décriée dans les milieux syndicaux31Il s’agit ici d’allégations dont nous ne pouvons attester de la véracité, notons simplement que cette affaire a été assez médiatisée cet été après l’annonce de son assignation à résidence et de l’émission de mandat d’amener contre lui, alors en cavale en Algérie. La nomination de Lazhar Loungou était au cœur du conflit politique entre Kais Saied et l’ancien Premier ministre Hichem Mechichi. Ce dernier a destitué Taoufik Charfeddine en janvier 2021 après sa décision de limoger Lazhar Loungou (alors attaché sécuritaire à Paris). Hichem Mechichi redevenu ministre de l’Intérieur par intérim nommera quelques mois plus tard Lazhar Loungou comme directeur général des renseignements. . La mainmise sur la justice de la part de l’exécutif a pu également être bien perçue par certains policiers syndicalistes qui avaient tendance à critiquer ce qu’ils estimaient être la clémence de la justice32Entretien avec un syndicaliste du SNFSI, Tunis, février 2022. . De manière plus surprenante, les réactions publiques des syndicalistes policiers aux annonces de Kais Saied visant l’unification future des organisations syndicales policières n’exprimaient pas une opposition au projet présidentiel. Bien au contraire, ces annonces avaient ravivé la concurrence entre les deux principaux syndicats policiers (SFDGUI et SNFSI), chacun tentant de faire valoir sa légitimité à représenter les intérêts policiers. Des désaccords apparaissent entre syndicats et ministère en mai dernier, lorsque le ministère n’accède pas aux demandes syndicales de montée en grades pour certains de leurs adhérents33Le SFDGUI en particulier défend la reconnaissance des diplômes universitaires dans l’obtention des grades. Communiqué du SFDGUI, 18 mai 2022. . Néanmoins, la publicisation de ces conflits, jusqu’alors à bas bruits, s’opère en août dernier, lorsque lors du spectacle de l’humoriste Lotfi Abdelli, des agents montent sur scène après des propos moqueurs à l’égard des policiers. Des membres du SNFSI appellent par la suite à ne plus assurer la sécurité des spectacles de l’humoriste34La menace de vacance de la sécurité publique est régulièrement brandie par les syndicats, notamment dans le cas de la scène culturelle. En juillet 2013, ils avaient également appelé à ne pas assurer la sécurité des spectacles du rappeur Weld el 15, ce dernier ayant écrit la chanson « boulicia kleb » (les policiers sont des chiens). , ce qui suscite la réaction du ministère de l’Intérieur et de Kais Saïed. Ce dernier rappelle l’interdiction du droit de grève pour les forces de sécurité intérieures, en même temps que des enquêtes administratives et pénales sont ouvertes.

Alors que la division syndicale contribuait à entretenir une dynamique concurrentielle entre les deux principaux pôles syndicaux, notamment autour des adhésions, ils semblent à présent faire front commun. Huit syndicalistes du SNFSI de Sfax ont été arrêtés sur décision du tribunal militaire et accusés d’atteinte à la sécurité publique. Ces derniers avaient installé des tentes et organisé des sit-in en réaction à l’annonce de la suspension des prélèvements sur salaires par le ministre. L’intervention des forces de police pour démonter les tentes de leurs collègues syndicalistes s’est soldée par des affrontements, par l’usage de gaz lacrymogène.  Le 28 septembre dernier, plusieurs centaines de membres du SFDGUI et du SNFSI manifestaient ensemble devant le district de sécurité à Sfax, chose inédite depuis 2011. Un dispositif sécuritaire important a été déployé pour exécuter la décision de justice d’évacuation du local du SNFSI35Ce local était occupé par les services du ministère de l’Intérieur jusqu’en 2011, puis cédé aux syndicats en février 2011. Entretiens, membres du SNFSI, Tunis, mars 2019. . Ce dernier était en litige avec le propriétaire du local depuis 2012, et des décisions judiciaires sont émises depuis 2014 selon l’avocate du propriétaire. La temporalité de la mise en exécution de la décision judiciaire par le ministère de l’Intérieur laisse peu de doute quant à l’instrumentalisation de celle-ci dans les conflits entre administration et syndicats.

 Et maintenant ?

La reprise en main par le pouvoir politique des syndicats de police, dont l’issue est encore incertaine, est certainement de nature à bouleverser un rapport de force dans lequel ils occupaient une position favorable. S’il est trop tôt pour juger des effets de ces méthodes de domestication de l’action syndicale, elles introduisent une rupture dans les relations entre syndicats de police et pouvoir politique. Dans les initiatives promues au nom de la « réforme du secteur de la sécurité », trop souvent l’amélioration des représentations populaires à l’égard du sécuritaire été érigée en priorité au détriment d’une refonte du cadre légal encadrant tant l’activité policière que leur syndicalisation, d’une réelle ouverture et transparence de l’institution sécuritaire et de la sanction en cas de faits de violences lors du service, comme en dehors. Le ministère continue à bien des égards à fonctionner comme une boîte noire. L’organigramme et les activités sont largement maintenus secrets, l’accès aux lieux de détention par les instances habilitées pas garanti, et l’un des enjeux, tant pour la fin de l’impunité que pour une pacification des relations entre citoyen.ne.s et agents, réside dans plus de transparence dans ses modes de fonctionnement. Dans les affaires de victimes de la violence policière, la question cruciale est celle des rapports entre secteur policier et judiciaire, et notamment l’aval du premier sur le second. Alors que les officiers de police judiciaire travaillent, dans les textes, sous le contrôle du procureur de la république, les interférences du ministère de l’Intérieur sur les enquêtes sont nombreuses. Une des demandes de certains militant.e.s contre les violences policières est de placer les officiers de police judiciaire sous la tutelle du ministère de la Justice, quand le rapport de l’IVD proposait lui des mesures permettant de renforcer le contrôle des Procureurs sur les officiers de police judiciaire. Une des difficultés majeures réside dans l’absence actuelle d’Assemblée parlementaire, dont certaines commissions pouvaient jouer le rôle de contrôle parlementaire sur le secteur de la sécurité à travers les auditions. Les incertitudes quant à la morphologie du futur Parlement (son budget et ses prérogatives), les poursuites judiciaires des militant.e.s de plus en plus nombreuses, la mainmise de la Présidence sur le Conseil supérieur de la magistrature et le déséquilibre des pouvoirs en faveur de l’Exécutif sont autant d’obstacles à l’émergence d’une participation citoyenne aux questions relatives à la sécurité et à l’impunité policière.

https://www.businessnews.com.tn/les-syndicats-securitaires-menacent-les-deputes,520,75799,3

Endnotes

Endnotes
1 Les éléments descriptifs suivant sont tirés d’une trentaine d’entretiens avec des policiers syndicalistes du SNFSI et du SFDGUI à Tunis, Sfax et Gafsa entre octobre 2017 et juin 2020.
2 Ce rapport reprend les normes de l’écriture inclusive, à laquelle il déroge toutefois en présence de groupes très fortement masculinisés. La distinction est importante car, si les femmes sont présentes au sein des syndicats policiers et même mises en avant lors de certaines mobilisations, elles n’occupent pas de positions décisionnelles majeures.
3 Ce décret intervient après l’autorisation de l’activité syndicale sous forme de communiqué interne par Farhat Rajhi le 24 février 2011, en attendant l’amendement des statuts des FSI. Cette autorisation a elle-même été obtenue après d’intenses conflits entre l’élite ministérielle et les agents mobilisés pour la création des syndicats. Le décret-loi n° 2011-42 du 25 Mai 2011, modifiant et complétant la loi n° 82-70 du 6 août 1982, portant statut général des forces de sécurité intérieure est accessible à l’adresse suivante : https://legislation-securite.tn/fr/law/43565
4 Nous estimons néanmoins que les chiffres avancés sont plus fiables : nous avons pu consulter leurs registres d’adhésions en juin 2020 qui mentionnaient à l’époque 30 342 adhérent.e.s au syndicat. Une campagne de régularisation des adhésions est en cours jusqu’en décembre prochain, et devrait permettre davantage de transparence dans les taux de syndicalisation dans la police et la Garde nationale.
5 Certains policiers sont ainsi particulièrement médiatisés et entretiennent des positions critiques vis-à-vis de l’action gouvernementale. Les syndicats policiers se sont d’ailleurs professionnalisés en la matière, en créant des cellules responsables de la communication et des relations médias. La gestion de leur page Facebook, la création de contenu multimédia sont assurées par des professionnels en communication.
6 Une circulaire non publiée datant du 4 juin 2012 encadrait le travail syndical en prévoyant notamment une obligation de présence au travail, le règlement de leur situation administrative et leur comptabilité, l’interdiction de l’utilisation du sceau de la République etc.
7 Entretien avec un membre du comité exécutif du SFDGUI à Sfax, février 2020.
8 Entretien officier de la Garde nationale, Tunis, avril 2019. Voir également le décret n° 2014-3632 du 30 septembre 2014 portant approbation des listes de promotion établies suivant les critères de régularisation du parcours professionnel des agents du corps de la sûreté nationale et de la police nationale, du corps de la garde nationale et du corps de la protection civile au titre de l’année 2014. Disponible : https://legislation-securite.tn/fr/law/44772
9 https://www.turess.com/assabah/1143797
10 Le projet de loi est consultable à l’adresse suivante : https://legislation-securite.tn/fr/node/54196
11 Pour un récapitulatif des dispositions potentiellement liberticides du projet, les opposants et en favorables, voir https://inkyfada.com/fr/2015/06/09/projet-de-loi-repression-des-atteintes-aux-forces-armees/
12 Communiqué disponible à l’adresse suivante : https://www.businessnews.com.tn/les-syndicats-securitaires-menacent-les-deputes,520,75799,3
13 Jobard, Fabien. « Colères policières », Esprit, vol. -a, no. 3-4, 2016, pp. 64-73.
14 Certains syndicalistes interrogés y voient une intention délibérée de la part du pouvoir politique, laisser des articles liberticides, afin que le projet de loi en l’état ne passe pas. Ils fustigent également l’appellation du projet de loi, le choix du terme « répression » (zajr) auquel ils préfèrent « protection » (himaya). Entretiens avec des syndicalistes membres du SFDGUI et du SNFSI, Tunis, 2019-2020.
15 Ces amendements ne modifient que peu la portée du texte. Ils concernent notamment sur l’article 18 portant sur l’irresponsabilité de l’agent qui, dans le cadre de ses fonctions inflige coups et blessures, est soumis à  l’exigence de « proportionnalité ».
16 https://www.letemps.news/2022/10/11/nouveau-face-a-face-judiciaire-entre-jeunes-activistes-et-syndicats-securitaires/?fbclid=IwAR2uGiqsZd0tDGQt67h3OOsiqG6_1NWc_vficYUnMC3AekvYH7U4Oi_RCgU
17 Les termes exacts étaient « espèces de communistes, de mécréants, agents des américains », « les athées, les homosexuels, ennemis de Dieu, chiens, nous sommes venus à vous », « gauchiste, racaille, les hommes sont venus à toi ». Vidéo disponible à l’adresse suivante : Extraits vidéos de la manifestation accessible sur le lien suivant : http://kapitalis.com/tunisie/2021/02/01/grave-derapage-du-syndicat-de-police-a-sfax-les-agents-insultent-les-militants-de-gauche-et-les-qualifient-de-koffar-video/
18 Les citoyens écopaient dans la grande majorité des cas d’une amende qui ne dépasse pas les 120DT. Mais la plainte déposée contre les agents était reçue comme non valide. Depuis l’an dernier plusieurs jugements rendus ont retenu des peines plus sévères contre des militant.e.s, condamné.e.s à des peines allant de trois à six mois de prison ferme.
19 En cas de décès de la victime, la communication officielle du ministère a pour coutume de faire valoir une overdose de la victime qui aurait ingéré les drogues possédées. Ces stratégies de criminalisation des victimes dans les médias sont assez systématiques dans les affaires de violences policières, en Tunisie comme ailleurs, comme le montre Codaccioni, Vanessa. 2018. La légitime défense. Homicides sécuritaires, crimes racistes et violences policières, Paris, CNRS Éditions.
20 Entretien avec un avocat, anciennement sous-directeur au sein de l’IVD.
21 Ces avocat.e.s sont souvent par ailleurs engagé.e.s auprès de la LTDH ou de l’ATFD.
22 Omar Laabidi, supporter du club tunisien, est décédé lors d’une poursuite policière après un match au stade de Radès. Encerclé par une brigade policière aux abords d’une rivière, il s’adresse aux agents en leur disant qu’il ne sait pas nager, ce à quoi l’un deux aurait répondu selon des témoins, « t’alem ‘aoum », apprend à nager. Omar saute dans la rivière et son corps est retrouvé le lendemain. Quatorze agents sont mis en examen pour homicide involontaire et non assistance à personne en danger.
23 Sur les deux dernières années, environ une centaine d’aides légales ont été fournies sur la base du programme « Protéger les droits des personnes gardées à vue ». Source : Livre blanc « renforcer l’implication de la société civile" , projet « l’Alternative » (ASF, ATL MST SIDA). 
24 De 2013 à 2021, le programme a pris en charge 410 victimes directes de torture. Le rapport de l’OMCT montre que l’immense majorité des sévices infligés sont le fait d’agent.e.s de la police et de la Garde nationale. Source : Rapport annuel Sanad, OMCT, 2022.
25 Une première initiative en la matière a été menée par le journal en ligne Inkyfada, qui recense les personnes tuées par la police depuis 2011 et leurs suites judiciaires. https://inkyfada.com/fr/webdoc/tue%C2%B7es-par-la-police-depuis-2011-les-violences-policieres-en-chiffres/
26 Par « démocratisation » est ici entendu, par les organisations internationales, l’introduction de mécanismes de contrôle sur l’action policière (souvent à dose homéopathique), la formation des FSI au respect des droits humains, mais aussi la promotion des pratiques de transparence au sein de l’Institution sécuritaire (open data, visibilité sur la structure et l’organisation de l’appareil sécuritaire, mise en place de stratégies de communication etc.).
27 Le gros de ce budget (environ 15 millions d’euros) a été consacré à la réhabilitation de centres de commandement aux frontières (achats de matériel, formations, travaux pour la réalisation des infrastructures etc). Un peu plus d’1 million et demi d’euros ont été consacrés au projet de commission de déontologie. Le projet s’est achevé à la fin de l’année 2020 et un PARMSS II est en cours de discussion.
28 Plaquette du PNUD à propos du projet.
29 La plupart des dépenses concernent l’organisation de formations en RSS (hôtels, consultant.e.s), la réhabilitation des commissariats (achats de matériel informatique, de véhicules), recours à des entreprises privées pour la réalisation d’audits etc. Le programme police de proximité a été renouvelé en 2020 et continue aujourd’hui.
30 Entretien, chargé du projet PNUD, janvier 2018. Le code est disponible à l’adresse suivante : https://legislation-securite.tn/fr/law/54718
31 Il s’agit ici d’allégations dont nous ne pouvons attester de la véracité, notons simplement que cette affaire a été assez médiatisée cet été après l’annonce de son assignation à résidence et de l’émission de mandat d’amener contre lui, alors en cavale en Algérie. La nomination de Lazhar Loungou était au cœur du conflit politique entre Kais Saied et l’ancien Premier ministre Hichem Mechichi. Ce dernier a destitué Taoufik Charfeddine en janvier 2021 après sa décision de limoger Lazhar Loungou (alors attaché sécuritaire à Paris). Hichem Mechichi redevenu ministre de l’Intérieur par intérim nommera quelques mois plus tard Lazhar Loungou comme directeur général des renseignements.
32 Entretien avec un syndicaliste du SNFSI, Tunis, février 2022.
33 Le SFDGUI en particulier défend la reconnaissance des diplômes universitaires dans l’obtention des grades. Communiqué du SFDGUI, 18 mai 2022.
34 La menace de vacance de la sécurité publique est régulièrement brandie par les syndicats, notamment dans le cas de la scène culturelle. En juillet 2013, ils avaient également appelé à ne pas assurer la sécurité des spectacles du rappeur Weld el 15, ce dernier ayant écrit la chanson « boulicia kleb » (les policiers sont des chiens).
35 Ce local était occupé par les services du ministère de l’Intérieur jusqu’en 2011, puis cédé aux syndicats en février 2011. Entretiens, membres du SNFSI, Tunis, mars 2019.

Les opinions représentées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’Arab Reform Initiative, de son personnel ou de son conseil d'administration.