Tunisie : La nation et ses traitres∙ses.

Des manifestants lors d’un rassemblement sur l’avenue Habib Bourguiba à Tunis en soutien au président tunisien Kais Saied - Mai 2022. (c) Shutterstock/Hasan Mrad

Introduction

Après des mois à dénoncer dans ses discours « les vendu∙es », « les traitres∙ses à la nation » et les « spéculateur∙trices », il semble que, depuis février 2023, les graines semées par Kais Saied portent enfin leurs fruits. Et la récolte des « traitres∙ses » s’annonce particulièrement prometteuse. Depuis l’arrestation de figures politiques opposées à Saied, accusées notamment d’avoir rencontré des diplomates étranger∙ères, les accusations de traitrise fusent, reprises ici et là par quelques soutiens du régime. Bien sûr, ces accusations n’ont rien de nouveau. Le phénomène est si récurrent que la langue arabe en a fait un mot : Takhwin.

Dans cet article, je vais m’intéresser à cette accusation de traitrise, ses origines et ses utilités politiques, à partir d’un certain nombre d’observations historiques, politiques et sociologiques. Un retour historique sur la question de la « traitrise » en Tunisie depuis la lutte pour l’indépendance est nécessaire. Si les accusations du régime actuel recyclent celles des régimes de Bourguiba et Ben Ali, elles forment néanmoins une continuité avec la transition démocratique : le même univers complotiste, les mêmes « mains cachées » planent dans l’air.

Dans un second temps, nous reviendrons sur l’utilité de l’accusation « traitre∙sse à la solde de l’étranger » pour un pouvoir autoritaire. En effet, en inventant des complots et des « traitre∙sses », le pouvoir installe l’idée que le peuple est impuissant et qu’il ne peut que compter sur un « sauveur », Saied, le tout en renouvelant les politiques de l’attente face à une situation sociale de plus en plus difficile. En outre, l’accusation de traitrise vient créer de l’unité nationale, tout en recouvrant les conflits de classe : pour un Etat à l’économie extravertie comme la Tunisie, il vaut mieux un peuple qu’on divise soi-même entre peuple et « traitre∙sses » qu’un peuple divisé entre classe bourgeoise et classes prolétaires où l’Etat serait reconnu comme étant entre les mains de la première classe. S’ajoute à cela un discours durci envers l’Occident qui donne à croire que l’Etat reprend le bâton de la libération nationale. En cela, l’Etat fait donc diversion sur ce qui continue d’être l’une de ses principales contradictions : être un Etat héritier de la lutte pour l’indépendance et reproducteur des dépendances et des subordinations post-coloniales.

Enfin, nous allons nous interroger sur le degré d’efficacité de cette rhétorique dans la Tunisie actuelle. En effet, l’imaginaire de la « traitrise » fait écho à des tensions de classe qui travaillent en profondeur la société tunisienne, notamment au niveau culturel, et qui se sont cristallisées dans un ressentiment fort contre l’ancienne classe politique accusée de s’être enrichie aux dépens du peuple. Cette dimension de classe est évacuée par le régime qui en fait une question de traitrise. En détournant le problème, le régime répond à une tension sociale réelle, ce qui peut créer de l’adhésion, voire un bloc social qui le soutient. Toutefois, l’absence de projet politique autre que la mise à l’écart des traitre∙sses, et surtout, l’impossibilité financière et politique de revenir au contrat social post-indépendance, silence contre protection sociale, font que cette rhétorique aura du mal à se maintenir dans le temps.

Les traitres au passé

L’accusation « traitre∙sse à la solde de l’étranger » semble être un indémodable sans cesse remis au goût du jour par les pouvoirs autoritaires. Comme dans tous les pays en proie à des formes d’instabilité politique, dessiner une ligne entre traitre∙sses et patriotes est une façon « revendiquer le pouvoir en essayant de contrôler les limites du politiquement acceptable et d'exercer l'autorité face à des affiliations qui changent constamment »1Thiranagama, Sharika and Kelly, Tobias. 2010. Introduction: Specters of Treason In: Thiranagama, Sharika and Kelly, Tobias, (eds.) Traitors: Suspicion, Intimacy, and the Ethics of State-Building. University of Pennsylvania Press, Pennsylvania, US, pp. 1-23 ISBN 9780812242133 . Dans ces moments d’instabilité politique, l’accusation de trahison sert à redéfinir les frontières du groupe en fonction des intérêts de celles et ceux au pouvoir : les opposant∙es sont transformé∙es ainsi en intrus∙es qui n’ont pas leur place au sein du groupe puisqu’ayant des fidélités extérieures. Ces accusations ont longtemps été politiquement efficaces au sein de pays anciennement colonisés où la promesse d’une « indépendance réelle », c’est-à-dire, de la fin du néocolonialisme, et plus symboliquement, le retour à une forme de « pureté »2Malek Lakhal, "Entretien avec Leyla Dakhli: «L’exception tunisienne», ses usages et ses usagers." Nawaat, 1544, nawaat.org/2018/12/10/entretien-avec-leyla-dakhli-lexception-tunisienne-ses-usages-et-ses-usagers. , continue à mobiliser les forces politiques aussi bien au pouvoir que dans l’opposition3Voir Béchir Ayari Michaël and Michel Camau. 2017. Le Prix De L'engagement Politique Dans La Tunisie Autoritaire Gauchistes Et Islamistes Sous Bourguiba Et Ben Ali 1957-2011. Tunis Paris: IRMC : Karthala. .

L’histoire des « Traitres∙ses à la solde de l’étranger »

Bourguiba VS Ben Youssef

Peut-être faudrait-il revenir ici, sur le conflit ayant opposé Salah Ben Youssef à Habib Bourguiba pour le leadership du Néo-Destour et – in fine – de l’Etat indépendant. Si on ne peut encore parler de trahison à la solde de l’étranger, il est nécessaire de revenir à ce conflit en ce qu’il inaugure dans la Tunisie indépendante, l’ère des unanimismes forcés. Sans nous appesantir sur le déroulement du conflit, que le livre de l’historien M’hamed Oualdi4Oualdi M'hamed. 2022. Salah Ben Youssef Et Les Youssefistes : Au Tournant De L'indépendance Tunisienne 1955-1956. Tunis: Cérès editions. déplie fidèlement, on peut se demander avec lui, pourquoi, ce qui aurait pu être une « opposition politique » saine entre deux visions politiques est devenu un conflit violent entre deux camps en quête de monopole sur l’Etat laissé par la France.

Dans sa tentative d’explication, Oualdi souligne une certaine ironie de l’histoire : « Le nouveau pouvoir nationaliste qui se saisit de certaines structures policières et juridiques mises en place par le Protectorat, reprend, au fil de ce conflit entre anciens compagnons du Néo-Destour, les termes et les obsessions du pouvoir colonial : celle de l’ordre et du refus de la contestation intérieure »5Ibid. p. 148. .

A posteriori, comme le note Oualdi, ce sera par un discours sur la primauté absolue de l’Etat que Bourguiba justifiera la répression6Incomplète, puisque certains seront réintégrés. contre le youssefisme : « Pour briser la subversion et l’anarchie, nous avons été obligés de frapper énergiquement, sans tenir compte du passé des hommes qui n’ont pas craint de s’attaquer à l’Etat au risque de ruiner sa réputation et ses possibilités et de le faire apparaitre comme incapable d’assumer le plus sacré de ses devoirs : assurer l’ordre et la sécurité des personnes »[7].

La question de la « réputation » de l’Etat, ou, pour utiliser une expression de la transition démocratique, la question du « prestige de l’Etat » reviendra régulièrement dans l’histoire contemporaine tunisienne. L’Etat issu de l’indépendance, est dépeint comme une entité sacrée, supérieure aux individus et aux classes sociales, presqu’un Esprit, au sens hégélien7Et dès lors que l’Etat est une entité prestigieuse, il n’est pas acceptable pour le grand public que ses représentants se comportent de manière vulgaire. Cela peut être l’une des raisons pour laquelle le parlement est devenu aussi « symboliquement » honni aussi bien celui qui a été suspendu que l’actuel : les représentants du peuple, que l’on peut regarder à la télévision, ne sont pas à la hauteur du « Prestige de l’Etat ». . L’Etat, dans cette conception de la politique, doit être défendu à tout prix contre les « attaques », d’où qu’elles viennent. En effet, la sacralisation de l’Etat se double d’un discours mettant en avant la jeunesse de ce même Etat et donc, sa fragilité face à quantité de menaces, pour la plupart extérieures. L’Etat sera toujours dépeint comme une entité en danger. Dans ce contexte nationaliste où « L’Etat tunisien est l’Etat du peuple tout entier, l’Etat de chaque homme dans la nation »8Béji Hélé. 2014. Désenchantement National : Essai Sur La Décolonisation. Tunis: Elyzad. P.86 , l’opposition au pouvoir devient donc de la traitrise, un complot contre « la sûreté de l’Etat ». En transformant l’opposition politique en menace existentielle, le pouvoir fait de la disparation de la compétition politique un enjeu de survie pour la nation. Ce qui n’est au fond que des intérêts politiques particuliers du pouvoir deviennent une part de l‘identité nationale9Dmitry Chernobrov. "Who is the modern ‘traitor’? ‘Fifth column’ accusations in US and UK politics and media." Politics, vol. 39, no. 3, 24 May. 2018, pp. 347-62, doi:10.1177/0263395718776215. .

La lutte contre le sous-développement

Une fois le danger youssefiste écarté, par voie d’assassinat de Ben Youssef en 1961, la nécessité de l’ordre et le refus de la contestation intérieure ne sont pas pour autant entré∙es en sommeil. Ces obsessions coloniales vont se renouveler à travers les discours de rattrapage du retard sur la « modernité ». L’urgence de « rattraper la caravane des nations » pour reprendre l’expression de Bourguiba nécessite que le peuple, lui-même arriéré, ne fasse qu’un, et qu’il suive docilement l’Etat, moderne lui, et qui connait le chemin. Dès lors, au nom de l’urgence du rattrapage, on ne tolèrera ni opposition ni contestation. Pour reprendre les mots de Sadri Khiari : « Sa devise [à Bourguiba] c’est l’ordre ; l’ordre, c’est l’Etat ; et l’Etat, c’est lui. Le peuple est par définition éternellement « immature », il a besoin d’un maitre qui le nourrisse, l’instruise et le blanchisse, le sermonne, le corrige et surtout, évite de le prendre pour un adulte »10Sadri Khiari. 2003. Tunisie: le délitement de la cité : coercition, consentement, résistance. Paris: Karthala. . L’Etat est ainsi à la fois « jeune » vis-à-vis de l’extérieur, et père, vis-à-vis de son peuple.

L’Etat nouvellement indépendant continue d’être dépeint par le pouvoir comme faible et menacé, notamment à l’échelle économique internationale, où il est, de fait, un Etat dominé. La quête de « contrôle sur les institutions de l’économie politique internationale » devait mener à l’indépendance11Jabri, Vivienne. 2012. The Postcolonial Subject : Claiming Politics/Governing Others in Late Modernity. Londo: Routledge p.100 « véritable », l’indépendance politique n’étant qu’une partie de la tâche. Cette « faiblesse » de l’Etat, charrie le spectre du néocolonialisme dans une économie « émiettée, subalterne, extravertie »12Béji op.cit. p.49 . Face à cette menace, le pouvoir en place ne requiert rien de moins que l’unité du peuple derrière l’Etat, au détriment de toute divergence, et de toute liberté : « La libération nationale tenait lieu de toutes les libertés personnelles, elle était la seule réelle, la seule vraie, la seule sacrée »13Béji op.cit. p.13 . L’exigence est d’autant plus forte que le discours du pouvoir établi un lien immédiat entre faiblesse et division, expliquant l’avènement de la colonisation occidentale par la division de la nation14Il serait permis de discuter en un autre temps et un autre lieu de cette interminable quête du « pêché » (on serait tentés de dire originel) ayant conduit à la colonisation. Cette quête qu’incarne à la perfection la célèbre phrase de Malek Bennabi « Nous avons été colonisés parce que nous étions colonisables », semble avoir monopolisé une bonne partie des débats intellectuels arabes depuis l’avènement de la colonisation, au détriment d’une analyse matérialiste de l’impérialisme.  : « De cette longue et douloureuse histoire, « lamentable », dit le discours national, la nation retient comme sa menace la plus intérieure le spectre de la division »15Béji op.cit. p.77 . Pour enfoncer le clou, le discours au sommet de l’Etat fera de la « division » un atavisme séculaire du peuple que l’Etat doit combattre dans le cadre du rattrapage de la caravane des nations.

Hélé Béji remarque très justement en 1982 que le même Etat faible économiquement à l’échelle internationale peut être, à l’intérieur de ses frontières, fort politiquement, voire répressif. Dans la configuration actuelle, où le spectre du défaut de paiement s’accompagne d’arrestations d’opposant∙es au nom d’actes de prétendue intelligence avec l’étranger, l’on peut même se permettre de dire avec elle, malgré les quarante ans qui nous séparent de son ouvrage, que « la faiblesse économique de l’Etat national n’entraine pas son agonie politique, le nationalitarisme s’amplifie au fur et à mesure que se dégrade économiquement la société »16Béji op.cit. p.50 .

C’est ainsi que du temps de Bourguiba, au nom de la nécessité de faire un derrière l’Etat faible à l’échelle internationale (dont l’indépendance est donc fragile) et de rattraper la modernité sans perdre de temps, toutes les oppositions, toutes les divisions ont été étouffées, ramenées à de l’atavisme ou de la traitrise.La traitrise sous Ben Ali

L’ère Ben Ali a également connu ses traitre∙sses. D’un côté les islamistes, de l’autre, la gauche, en particulier celle qui fut qualifiée de « droits de l’hommiste », soit, ce qui du temps de Ben Ali, constitua « l’opposition tunisienne ». La faiblesse du renouvellement des élites politiques fait que, bien souvent, on retrouve, au rang des traitre∙sses d’aujourd’hui, celles et ceux-là même qui faisaient l’objet des accusations de traitrise sous Ben Ali.

Dans la continuité de l’héritage moderniste autoritaire bourguibien, les islamistes ont été radicalement altérisé∙es par le pouvoir et une partie de la population sous Ben Ali. Leur répression par le pouvoir s’est heurtée à l’indifférence d’une partie de la gauche, qui préfère l’Etat moderne à la défense des droits politiques de ses adversaires. Ils et elles sont accusé∙es d’être des « khwenjeya » venu∙es importer un modèle de société étranger à la Tunisie. La « traitrise » des islamistes tunisien∙nes tient en leur volonté d’importer un islam « radical » vu comme étranger à la Tunisie, et de mettre ainsi à mal une prétendue identité « plurielle » et « tolérante » de la Tunisie17Notons que la pluralité en Tunisie est le plus souvent célébrée au passé : souvenir des juif∙ves et des communautés européennes en Tunisie, avec certains quartiers comme La Goulette, symbolisant le vivre-ensemble. Un récit qui efface non seulement l’entreprise d’exclusion des minorités juives tunisiennes entamée dès 1956 par l’Etat indépendant, les violences antisémites subies par la suite, mais efface, aujourd’hui encore, les discriminations et violences subies par les juif∙ves, les Tunisien∙nes noir∙es et les migrant∙es issu∙es des pays d’Afrique subsaharienne. . Les islamistes sont également accusé∙es d’avoir des fidélités supranationales, par leur prétendue appartenance au courant des Frères Musulmans.

Du côté des « droits de l’hommistes », l’accusation diffère. Ils et elles sont des traitre∙sses rémunéré∙es par l’étranger pour mettre à mal l’image de la Tunisie. Il faut comprendre cette accusation comme une première réaction du pouvoir à la montée de la rhétorique des droits de l’Homme et aux prémices de l’ONG-isation. Les « droits de l’hommistes » sont mis en cause pour leurs relations avec les organisations non-gouvernementales de défense des droits de l’Homme comme Amnesty International, Reporters Sans Frontières ou encore Human Rights Watch. Elles et ils ont utilisé les canaux de plaidoyer pour faire entendre leurs causes auprès de l’Occident, les invitant ainsi à « s’ingérer » dans ce que l’Etat considère être ses affaires intérieures.

Le caractère rémunéré (souvent faux), est particulièrement important : il s’agit de mettre en avant l’intérêt, la prétendue vénalité des opposant∙es, laquelle contraste naturellement avec la pauvreté du bon peuple et le désintéressement des patriotes au service de dernier qui ne touchent pas, eux∙elles, à l’argent de l’étranger. Cette accusation vise également à isoler les opposant∙es de la population : l’élitisme, le cosmopolitisme souvent forcé des opposant∙es, du fait de l’exil, est mis en avant pour leur dénier leur appartenance à la nation. Ces accusations vont renforcer l’idée que les opposant∙es de gauche sont des élites qui ne cherchent pas à mobiliser le « peuple » autour de leur cause, accusation bien souvent reprise par les chercheurs et chercheuses ayant travaillé sur la Tunisie de Ben Ali.

En outre, les opposant∙es étaient accusé∙es de « ternir l’image de la Tunisie à l’étranger ». Ainsi, non seulement ils et elles étaient en contact avec des étranger∙ères, mais ils et elles allaient « dire du mal » du pays. Cette accusation s’explique d’une part par le fait que le régime de Ben Ali comptait énormément sur sa bonne image de pays musulman moderne et tolérant pour attirer touristes et investisseur∙sseuses. « Ternir l’image de la Tunisie à l’étranger » était donc, aux yeux du régime, un sabotage direct de son unique stratégie économique. D’autre part, il faut entendre dans cette accusation une reprise à échelle nationale de l’idée que le linge sale se lave en famille. L’Etat tunisien a souvent été très prompt à utiliser cette métaphore qui fait du pays une grande famille (avec le chef de l’Etat pour patriarche). Elle est d’ailleurs reprise par l’actuel ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar18« C’est important pour les Tunisiens de se dire que lorsque nous sommes face à des difficultés, il faut les régler entre Tunisiens et ne jamais faire appel à l’étranger, aux non-Tunisiens. Nos partenaires étrangers sont nos amis mais ils ne peuvent être partie prenante dans nos affaires intérieures. Un différend au sein de la même famille doit être résolu exclusivement par ses membres. C’est une position personnelle que j’ai toujours défendue ardemment. » La Presse avec TAP. "Journée de la diplomatie tunisienne — Nabil Ammar, ministre des Affaires étrangères : « Derrière les déclarations de certains responsables occidentaux se cachent surtout des ambitions politiques et électorales » | La Presse de Tunisie." La Presse de Tunisie, 1 May. 2023, lapresse.tn/156976/journee-de-la-diplomatie-tunisienne-nabil-ammar-ministre-des-affaires-etrangeres-derriere-les-declarations-de-certains-responsables-occidentaux-se-cachent-surtout-des-ambition. .

La transition démocratique, une mise en sommeil sans rupture

A les comparer aux régimes despotiques de Bourguiba, de Ben Ali et de Saied, la période révolutionnaire puis, la transition démocratique, semblent un havre de paix où la rhétorique de la traitrise n’avait pas sa place dans le champ politique. Toutefois, à y regarder de plus près, on constate que si des accusations de traitrises directement adressées aux opposant∙es politiques n’ont pas été faites durant la décennie démocratique, il n’y a jamais eu une rupture avec l’univers de cette rhétorique. D’une part, les premières années de la transition démocratique ont vu l’idée de « traitrise envers la nation » remplacée par « la traitrise envers la oumma des croyant∙es ». D’autre part, et c’est là peut être le plus important, l’univers complotiste rattaché à « la traitrise contre la nation » ( « certaines parties », les « pièces obscures », les « intérêts/agendas occultes » etc.) a été mobilisé par tout∙es celles et ceux qui ont eu le pouvoir durant l’ère démocratique.

Durant la période constituante (2011-2013), le parti islamiste et ses allié∙es salafistes de l’époque, ont eu recours au « takfir » d’opposant∙es, soit l’excommunication du corps de la oumma des croyant∙es. Ennahdha a été accusée d’avoir, a minima, créer un terrain favorable aux assassinats politique de figures politiques comme Chokri Belaid et Mohamed Brahmi en 2013 par une rhétorique tafkirisante de l’opposition dite « laïque ». Les partis nationalistes-arabes auxquels les deux hommes étaient affiliés ont, eux, directement accusé Ennahdha d’avoir commandité ces assassinats. Cette peur du « takfir » avait d’ailleurs donné lieu à des épisodes assez rocambolesques où la criminalisation du takfir s’est retrouvée constitutionnalisée dans le texte de janvier 2014 en réaction à des menaces de mort reçues par le député de l’époque, Mongi Rahoui, aujourd’hui soutien du régime. A la logique d’exclusion du corps de la nation succédait donc une logique d’excommunication du corps des croyant∙es qui jouait peu ou prou sur les mêmes registres. Toutefois, cette logique a peu à peu perdu du terrain : Ennahdha tenant à se transformer en parti « islamo-conservateur », les tenants de ce discours comme Habib Ellouze et Noureddine El Khedher ont été progressivement marginalisés.

Parallèlement au « takfir », une autre tendance s’est dessinée dans l’arène politique. Celle du complotisme. Très tôt dans le processus institutionnel entamé en 2011, le champ lexical du complotisme19Voir Girardet Raoul. 2003. Mythes Et Mythologies Politiques. Paris: Seuil. https://archive.org/details/mythesetmytholog0000gira. s’est imposé comme un pilier du discours politique : comploteur∙ses, « agenda occultes », « mains cachées », « pièces obscures » où se décident les choses à l’insu du peuple, et surtout les « atraf », les « certaines parties » qui veulent déstabiliser, au choix, le pays, le gouvernement, tel parti politique etc.20Ici par exemple Ennahdha en 2012 https://www.businessnews.com.tn/tunisie-ennahdha-accuse-certaines-parties-politiques-detre-derriere-les-evenements,520,31642,3 et Kais Saied en 2023 https://www.aa.com.tr/fr/afrique/le-pr%C3%A9sident-tunisien-accuse-certaines-parties-d-%C5%93uvrer-%C3%A0-envenimer-les-situations-/2872132 . Ces discours, systématiquement adoptés par le pouvoir, ne nomment jamais les accusé∙es explicitement, mais, à la manière d’un cliffhanger de fin de saison, ils permettent de ménager l’attente par une promesse de dénouement qui ne vient pas. En outre, accuser des « atraf » permet de renvoyer la responsabilité d’échecs ou de retards vers d’autres qu’eux sans s’aliéner de potentiels futur∙es allié∙es. Cette déresponsabilisation a contribué à créer un climat de défiance généralisée puisque tout le processus politique était, de la bouche même des « responsables politiques », parasité par des « atraf ».

De l’utilité des traitres∙ses en situation autoritaire

Le retour des anciennes recettes

Somme toute, Kais Saied n’aura fait que franchir le Rubicon avec lequel ont longtemps flirté les hommes et femmes politiques au pouvoir entre 2011 et 2021 : après des mois des habituelles accusations contre d’obscurs « atraf » en promettant les noms pour plus tard21Son discours à Sidi Bouzid en septembre 2021 était à ce titre exemplaire, voir Lakhal, Malek. "Peuple fantôme et populisme par le haut : le cas Kais Saied." Arab Reform Initiative, 23 Mar. 2022, www.arab-reform.net/fr/publication/peuple-fantome-et-populisme-par-le-haut-le-cas-kais-saied. , il s’est mis à arrêter ses opposant∙es les plus vocaux∙les. Quelque part, si les graines de Kais Saied portent leurs fruits aujourd’hui, c’est parce que le terrain a été maintenu fertile par les acteurs et actrices de la transition démocratique.

En outre, le pouvoir actuel remet en avant le discours alarmiste sur un risque d’effondrement de l’Etat, qui justifierait dès lors, l’état d’exception. L’Etat, revenu aux premiers temps de l’indépendance, redevient alors l’entité faible et menacée derrière laquelle tout le monde doit se ranger. Ici, la faiblesse est double : on retrouve bien sûr la faiblesse à l’échelle internationale, soit le spectre néocolonial, qui, vraisemblablement, compte tenu des dépendances multiples du pays (alimentaire, financière, énergétique), devient de plus en plus une réalité. Mais on retrouve aussi, le spectre de la « division » qui affaiblirait le pays. Ici, la division n’est autre que la décennie de pluralisme politique qu’a connu le pays, devenue depuis, dans la bouche du régime et de l’UGTT, « la décennie noire ».

On remarque donc une continuité discursive assez nette entre les premières années de l’indépendance et la situation actuelle. Le pouvoir dépeint l’Etat comme faible et menacé de l’extérieur (colonialisme ou néocolonialisme), ce qui l’oblige à être fort et à ne tolérer aucune opposition intérieure. Dans ce schéma, l’opposition politique à Saied devient une menace existentielle contre l’Etat. En luttant contre « les traitres∙ses », l’Etat faible et menacé vise à recréer une unanimité de la société derrière lui. Dans le même temps, vis-à-vis des opposant∙es, c’est le discours de l’époque Ben Ali qui reprend le dessus : les islamistes sont des « étranger∙ères » qui n’ont pas leur place dans le pays et les « droits de l’hommistes » sont des « traître∙sses » qui lavent le linge sale du pays en Occident pour pousser à l’ingérence étrangère.

Les « pièces obscures » ou le renouvellement des politiques de l’attente par le complot

Dans le moment de crise multidimensionnelle que traverse le pays, les accusations de complots, de traitrise sont pour Kais Saied la seule bouée de secours disponible s’il veut continuer à se dégager de sa responsabilité politique de l’austérité implacable que mène son régime. Ainsi, pour les pénuries qui touchent certains produits de base (pain, farine, café)22Ces produits sont quasi exclusivement importés par l’Etat. Le café peut être importé par des entreprises mais les taxes sur l’importation très élevées. , là où les chiffres montrent une division des importations d’Etat par pas moins de 10 pour le café entre février et avril 2022 et 202323Les bulletins nationaux de la statistique de l’Institut National des Statistiques montrent qu’entre février et avril 2023, 1 600 tonnes de cafés ont été importées contre 16 700 tonnes durant la même période en 2022 (où les pénuries de café étaient déjà récurrentes) soit une division par dix des importations. et une baisse de 25,53% pour le blé tendre (pain)24Les bulletins nationaux de la statistique de l’Institut National des Statistiques montrent qu’entre février et avril 2023, les importations de blé tendre se sont élevées à 683 000,3 tonnes contre 917 000,6 tonnes en 2022 pour la même période, ce sera par un complot mené dans des « pièces obscures » que Saied expliquera la disparition de ces produits des marchés.

Tout en faisant disparaitre l’idée même de responsabilité politique, ce recours permanent au complotisme des « pièces obscures » renforce un sentiment d’impuissance et de dépossession de la chose publique chez les citoyens et citoyennes. Quoi qu’ils et elles fassent, les citoyen∙nes n’ont pas leur destin entre les mains puisque celui-ci se déciderait ailleurs, dans des pièces obscures inatteignables25Bien sûr, l’ironie veut que ce soit sous le régime de Saied, que les pièces obscures ont connu une certaine apogée avec des accords délibérément tenus secrets (l’accord avec l’Union Européenne signé en juillet 2023 par exemple). . Ce recours à l’imaginaire complotiste infantilise et dépolitise : impuissant face à des forces qui le dépassent, le peuple ne peut que confier son destin à un sauveur et attendre. Les arrestations hollywoodiennes de « traitre∙sses » viennent ponctuer l’attente, pour donner l’illusion que la lutte avance, là où les conditions de vie deviennent de plus difficiles.

L’unité et ses traitres∙ses

Les arrestations se sont accompagnées d’un discours assez classique dénonçant les « ingérences étrangères » venues d’Occident (du moins, celles qui n’arrangent pas le régime, l’ingérence italienne pour pousser le FMI à faire un prêt rapide à la Tunisie étant la bienvenue). Le discours « musclé » anti-ingérence, qui s’est matérialisé à la fois dans les discours de Saied et dans ceux de son ministre des Affaires Etrangères créent une illusion de puissance assez familière. Face au spectre de plus en plus explicite du néocolonialisme, la figure de l’Etat arabe qui proteste vocalement pour affirmer et faire respecter sa souveraineté est en effet une figure de résistance familière26Elle nous renvoie par exemple à la figure d’un Nasser de 1956, résistant aux français, britanniques et israéliens venus reprendre le canal de Suez après sa nationalisation. et qui reste assez populaire dans un pays où la promesse d’une indépendance véritable continue d’animer les espoirs27Béchir Ayari Michaël and Michel Camau. op. cit. . Et c’est ainsi que l’Etat donne à voir au public le spectacle de chefs qui, pour une fois, tiennent tête aux puissant∙es de ce monde, offrant ainsi un moment de fierté dans des pays où l’on a l’habitude d’être écrasés28Une analyse genrée de ce phénomène reste à mener. D’après nos observations et intuitions, cette fierté est très largement incarnée par des figures masculines, et ce sont des hommes qui y sont les plus sensibles. .

Ce discours souverainiste vise à « cultive[r] un sens de la communauté en produisant et reproduisant des identités politiques collectives qui unissent le peuple autour d’une compréhension politique partagée des faits, pouvant donc servir comme outils de légitimation politique »29Karim El Taki. 2021. “Subordinates’ Quest for Recognition in Hierarchy”. Millennium, 50(1), 55–82. https://doi.org/10.1177/03058298211050953 . Ici, c’est la reproduction de l’unité de la nation face à l’impérialisme qui est recherchée. Ainsi, les violations des droits de l’homme et des libertés politiques deviennent une affirmation de la souveraineté de la nation et de son peuple.

Ce type de discours est difficilement dénonçable dans un champ politique où le nationalisme continue d’être hégémonique et où, même à gauche, on continue d’en faire une idéologie libératrice30Même quand il est porté par un Etat que les analyses marxistes les plus élémentaires décrivent comme étant au service des bourgeoisies nationales et donc in fine, au service des puissances impérialistes. . Cette hégémonie rend d’autant plus facile pour le pouvoir d’exclure de la « communauté nationale » celles et ceux qui protestent, ou osent parler de droits de l’homme. Les opposant∙es deviennent ainsi des traitre∙sses à la nation, suppôts de l’impérialisme.

En plus du discours anti-ingérence, le régime a tenté d’actionner des leviers alternatifs en matière de relations diplomatiques, multipliant les rencontres et les appels avec les responsables chinois et russes. Durant quelques jours, le spectre des BRICS est venu alimenter le discours des pro-régimes sur les médias. Cette quête de nouveaux allié∙es dans un monde multipolaire est une performance destinée à obtenir de la reconnaissance chez la population, en signalant un Etat actif, en recherche de solutions et pas totalement dépendant de l’Occident31Voir à ce sujet Karim El Taki, op. cit. . Elle est en outre une manière de signifier aux partenaires occidentaux, aussi bien Américains qu’Européens que la Tunisie peut voir ailleurs. Toutefois, si symboliquement, cela fait de l’effet, aucune traduction matérielle de ces initiatives n’a encore vu le jour. Pire, la Chine, principal créancier alternatif, a, par la voie de son ambassadeur, enjoint la Tunisie à conclure un accord rapide avec le FMI.

Si à l’échelle internationale, les résultats sont maigres, à l’échelle locale, la communion nationale est loin d’être au rendez-vous. Pas d’engouement populaire derrière ces discours, dans les faits, ce sont plutôt les diatribes racistes du Président contre les migrant∙es qui rencontrent du succès auprès d’une population en quête de coupables et de facilité.

Fuir les contradictions

Sous Saied comme par le passé, cet éternel retour des « traitre∙sses à la solde de l’étranger » permet à l’Etat de détourner les regards de ce qui constitue, historiquement, toute sa contradiction : L’Etat tunisien postindépendance est un Etat qui, tout en se faisant l’héritier et continuateur des luttes de libération nationale s’est inscrit dans la continuité du pouvoir colonial sur de nombreux plans. Economiquement, l’Etat a maintenu l’extraversion de l’économie où l’ambition suprême consiste à se mettre au service de l’Europe et où les Investissements Directs Etrangers (IDE) ont longtemps été l’unité de mesure de la bonne santé économique du pays. Politiquement et culturellement, malgré les discours nationalistes et les surenchères identitaires, la culture dominante continue d’être cosmopolite et donc, en contradiction avec la culture nationale. Face à ces contradictions, le pouvoir, mais aussi, dans une certaine mesure, ses opposant∙es ont investi « un idéal de pureté comme moteur de changement », où il « fallait œuvrer encore et encore à être ce que nous étions déjà : des nationaux »32Fatma Oussedik. 2022. Avoir un Ami puissant : Enquête sur les familles urbaines Alger – Oran – Annaba. Koukou Editions : Alger p.358. . Le caractère structurel de l’extraversion et de la dépendance à l’Occident est alors transformé en question morale : à l’échelle de la société cela donne les débats identitaires qui hantent périodiquement le pays, tandis qu’à celle des individu∙es, cela donne une échelle de valeur allant de patriote à traitre∙sse. Comme la bête qui mange ses propres enfants, l’Etat doit donc régulièrement avoir recours à cette performance de l’expulsion qu’est la chasse aux « traitres∙ses »33Dmitry Chernobrov. Op. cit. pour « purifier » une nation incapable de se questionner sur son hybridité et sur les lignes de domination qui la traversent34Ibid. .

Si l’on revient à la question posée par Oualdi, pourquoi l’opposition politique devient, prise du point de vue d’un certain type de pouvoir, une sédition à abattre, alors, on peut donner pour réponse possible à l’issue de cette analyse : l’Etat postindépendance tire sa légitimité de son caractère national et supérieur (voire sacré). Or pour se maintenir, il faut masquer sa liaison organique avec les classes dominantes et par extension, avec les forces impérialistes. Pour ce faire, le caractère structurel des inégalités au sein de la société doit être nié, l’Etat force donc un unanimisme, notamment autour du mot « peuple » dans la mesure où celui-ci « génère le sentiment d’égalité »35Thomas Serres, « Variations sur le thème de l'union du peuple dans les discours politiques en Algérie », Dynamiques Internationales, numéro 7, octobre 2012. . Toutefois, l’unanimisme ne pouvant tenir longtemps du fait des tensions sociales grandissantes (en les masquant il contribue de fait à les exacerber)36Ibid. , l’Etat doit recourir régulièrement à la figure du traitre∙sse à la solde de l’étranger. En situation autoritaire, transformer l’opposition politique en sédition nationale permet de faire d’une pierre trois coups : se débarrasser de ses opposant∙es, apaiser la soif de justice sociale en s’attaquant à une partie des élites, et renforcer l’hégémonie de l’idéologie nationale unanimiste.

 

Est-ce que ça marche encore ?

« traitriser » La lutte des classes

Si le pouvoir autoritaire en Tunisie, comme partout dans le monde, a toujours produit des traitre∙sses quand il s’est agi de réprimer l’opposition, cette production n’est pas sans lien avec les dynamiques d’exclusion et de distinction qui travaillent le corps social depuis l’indépendance : si l’Etat produit régulièrement ses « traitre∙sses », c’est aussi parce que la société est prête à accueillir ces accusations. Ces dynamiques sociales, empruntant des registres similaires (pur, impur ; authentique, inauthentique etc.), alimentent la production des traitre∙sses et vice-versa.

Je m’intéresserai ici particulièrement à la question de la place des élites « cosmopolites » dans la société. Par élite « cosmopolite », j’entends les personnes qui, dans les sociétés postcoloniales, assoient, affirment et reproduisent leur domination en investissant dans le rapprochement, matériel et symbolique avec l’Occident. Que ce soit à travers les langues étrangères parlées au quotidien, le type d’éducation reçu au pays voire l’éducation reçue à l’étranger, ou encore dans le fait d’avoir une double nationalité, une partie des élites tunisiennes investit très fortement dans le rapprochement à l’Occident pour maintenir sa domination et dessiner les frontières de sa classe sociale. De fait, ces classes cherchent activement à se distinguer du reste de la population, voire à s’en exclure volontairement37Voir Malek Lakhal. 2019. Petit Exercice d’Analyse de la Haine de Soi, Numéro 4 : A reculons : Critiquer pour Ecrire Revue Asameena . Cet effort de distinction social est paradoxalement renforcé par une idéologie nationale postcoloniale où faire partie de la nation et faire partie de l’élite cosmopolite sont deux choses mutuellement exclusives.

L’anthropologue égyptienne Noha Roushdy a effectué à ce sujet un travail fascinant sur les écoles internationales privées en Egypte. Ces écoles, où les parents de classes moyennes et supérieures se battent pour scolariser leurs enfants, sont investies dans le but d’offrir un capital cosmopolite aux enfants (programme scolaires étrangers, enseignement en langue étrangère etc.) dans un contexte où l’école publique est totalement désinvestie par l’Etat. Il s’agit pour ces familles de renforcer et reproduire leur appartenance aux classes supérieures dans un contexte de plus en plus instable économiquement. Ces mêmes parents y voient toutefois une menace d’acculturation pour leurs enfants puisque ces écoles sont connues pour offrir un apprentissage médiocre de la langue arabe. Bien sûr, la Tunisie connait le même phénomène : si historiquement « la mission française » et, dans une moindre mesure, « l’école américaine », étaient le lieu de reproduction des élites cosmopolites, aujourd’hui, dans un contexte de marchandisation de l’éducation et d’abandon de l’école public par l’Etat, on assiste à une explosion d’écoles privées se voulant internationales (enseignant les programmes canadiens, britanniques, américains ou encore français).

Dans le cas égyptien, ces écoles véhiculent chez les élèves des discours où on leur fait comprendre qu’ils et elles n’appartiennent pas à la « véritable » ou « authentique » société égyptienne. Ce sont des espaces où « tout le monde semble s'accorder sur le fait que l'appartenance à l'élite et l'appartenance nationale ne sont pas une seule et même chose dans l'Égypte contemporaine. Pour beaucoup, ce qu'il faut pour élever des enfants des classes moyennes et supérieures contredit et souvent sape ce qu'il faut pour les élever en tant qu'Égyptiens »38Noha Roushdy. 2021. Between class and nation: international education and the dilemmas of elite belonging in contemporary Egypt. Boston University (Unpublished PhD Thesis ). L’école produit une « distinction entre les vrais ou authentiques Égyptiens [les pauvres, qui vont à l’école nationale publique] et ceux qui ne sont « pas vraiment Egyptiens » en raison de leurs privilèges et de leur mode de vie cosmopolite »39Roshdy op. cit. , instillant au passage des formes de culpabilité chez les élèves.

Cette exclusion mutuelle entre appartenance à l’élite et appartenance à la nation se fonde sur une caractéristique fondamentale (et rarement reconnue) des nations postcoloniales : l’existence d’un « décalage fondamental entre la culture nationale officielle et parrainée par l'État et la culture de facto économiquement et socialement dominante de l'élite cosmopolite »40Roshdy op. cit. .

Ainsi, malgré les discours nationalistes et identitaires, malgré les efforts d’arabisation,41Quiconque connait la haute administration tunisienne sait que la langue d’usage continue d’être le français alors même que l’arabisation y est instituée depuis plus de vingt ans. « la culture légitime » dans des pays comme la Tunisie ou l’Egypte continue d’être une culture d’inspiration coloniale, où être proche de l’Occident multiplie les chances d’être en haut de la hiérarchie sociale42Bien sûr, une exception intéressante et sous-étudiée est celle des descendant∙es tunisien∙nes de travailleur∙ses immigré∙es qui sont de fait, bien plus proches de l’Occident que n’importe quel bourgeois∙e tunisien∙ne mais sont toujours renvoyé∙es à leurs origines modestes, voire sont stigmatisé∙es par les bourgeois∙es à travers la reprise des discours français sur les banlieues. . Dans cette configuration, les élites issues de la culture nationale officielle, c’est-à-dire, arabophones, éduquées exclusivement dans les systèmes scolaires et universitaires publics, font face à un plafond de verre, farouchement gardé par les élites cosmopolites43Ce plafond de verre s’est illustré symboliquement lors de la transition démocratique par les moqueries systématiques qui ont visé les responsables politiques faisant des erreurs lorsqu’elles s’expriment en français. On remarque d’ailleurs que les erreurs en arabe de la Première Ministre, Najla Bouden, ne suscitent pas la même indignation. . Cette contradiction entre culture nationale officielle mais dominée et culture dominante d’inspiration coloniale ne connait pas meilleure illustration que ces ministres ou Présidents de la République qui utilisent abondamment le patriotisme et la rhétorique du « traitre∙sse à la solde de l’étranger » contre leurs adversaires tout en scolarisant leurs enfants dans les lycées étrangers44Je pense notamment à Ben Ali ou encore, plus près de nous, au chef du parti nationaliste arabe « Mouvement du Peuple », Haykel El Mekki. .

Le caractère jamais explicitement reconnu de cette dissonance entre culture nationale dominée et culture cosmopolite dominante s’accompagne du refus de la traduire explicitement en termes de classe sociale. Ce qui aurait pu être exprimé en termes de lutte des classes continue d’être dévié par les différents pouvoirs autoritaires en place vers un discours nationaliste opérant une division entre « vrai∙es Tunisien∙nes » et, au choix cinquième colonne du néo-colonialisme, ou envoyé∙es du Golfe, soit, le contingent des « traitre∙sses à la solde de l’étranger »45Durant la transition démocratique, cette même tension a été déviée vers le débat identitaire entre « islamistes » et « modernistes » . Dans la Tunisie de 2023, c’est sur cette confusion que se joue l’entente entre un Saied, pur produit de la culture nationale dominée46Pour témoin, son insistance à s’exprimer en arabe littéraire, se distinguant ainsi de l’élite cosmopolite parlant le français. et donc, représentant des classes empêchées, ses allié∙es, issu∙es des rangs nationalistes-arabes eux∙elles-mêmes dominé∙es au sein des élites, et une partie des classes populaires en quête de justice sociale : « nous », les dominé∙es, contre « eux∙elles ». Eux∙elles, ce sont pêle-mêle : les « corrompu∙es », les « cosmopolites », la classe politique (mais aussi les professionnels de la société civile) qui ont profité de la transition démocratique pour se hisser socialement, économiquement ou politiquement, ou pour renforcer leur position dominante, là où une grande partie de la population s’est appauvrie.

Ainsi, une contradiction majeure au sein de la société, laissée en friche par une gauche qui rechigne à la critique du nationalisme, est redéployée par le pouvoir pour faire de ses opposant∙es des « traitre∙sses » rémunéré∙es, enrichi∙es, par l’étranger. Le but est de donner à cette chasse aux traitre∙sses des allures de justice sociale, auprès d’une population qui a vu ses conditions de vie se dégrader depuis la Révolution et qui constate, ne serait-ce que par l’abondance, inédite dans l’histoire du pays, de produits de consommation de luxe, l’étendue des inégalités. Il est d’ailleurs à ce titre très intéressant de noter que beaucoup de gens en Tunisie croient que les opposant∙es politiques jeté∙es en prison par Saied sont accusé∙es de corruption, ou d’enrichissement illégal (notamment les cadres d’Ennahdha) là où le régime les arrête pour « complot contre la sûreté de l’Etat » et les accuse d’intelligence avec l’étranger. Ce qui de prime abord semble être une simple confusion, révèle de fait la fragile alliance entre le pouvoir et ses soutiens populaires. Le pouvoir reprend la vieille accusation de traitrise à la solde de l’étranger contre ses opposant∙es, mais celle-ci visiblement, ne mobilise plus. C’est la « lutte contre la corruption » et l’enrichissement illégal qui anime les esprits, la soif d’une quelconque forme de justice sociale au sein d’une population profondément labourée par les discours anti-corruption simplistes et moralisateurs ayant dominé la scène politique à partir de 201447Voir Boussen, Zied et Lakhal, Malek. 2023. The Political Usage of Anti-Corruption in Tunisia. Euromesco. (Policy Brief) https://www.euromesco.net/wp-content/uploads/2023/06/Policy-Brief-N%C2%BA133.pdf .

Un pouvoir sans horizons

Toutefois, si les accusations de « traitrise » s’appuient sur des moteurs puissants au sein de la société, on peut sérieusement douter de leur capacité à mobiliser la population à terme. L’unité autour de l’Etat face aux « traitre∙sses » et à l’Occident laisse à désirer. A l’exception de certains éléments diasporiques et d’élites politisées au nationalisme-arabe, les discours nationalistes portés par le pouvoir et ses allié∙es ne trouvent pas beaucoup d’écho auprès de la population.

L’économie reste la préoccupation principale de la population, et c’est précisément là que le pouvoir navigue à vue. Aucun accord avec le FMI n’a été trouvé, l’accord avec l’UE semble compromis par des chiffres de la migration qui ne baissent pas, et des procédures pas respectées au niveau européen. L’austérité forcenée cause des pénuries qui rendent la population de plus en plus fébrile, à qui l’on veut faire croire qu’il s’agit de complots.

Le recyclage du discours postindépendance, Etat faible, jeune, mais protecteur, ne prend pas en considération le fait que l’Etat tunisien de 2023 n’est en rien celui de l’indépendance. Si en 1956, la promesse de « la libération nationale tenait lieu de toutes les libertés personnelles »48Béji op.cit. p.13 , l’Etat de 2023 n’a rien à promettre. Ni libération nationale, ni développement, et encore moins de retour au contrat social de l’époque, celui où silence et obéissance étaient la contrepartie d’une protection sociale performante et de services publics démocratisés. Même le contrat social sous la dictature de Ben Ali où les bas salaires étaient compensés par des prix bas, des subventions et une démocratisation de la consommation par le recours au crédit bancaire est aujourd’hui une chimère lointaine.

Bien sûr, les ressources financières sont limitées, et la politique budgétaire est ouvertement austère, mais c’est la nature même de l’Etat qui a changé, emporté par la vague néolibérale dès les années 8049Hibou, Béatrice. La force de l'obéissance. Économie politique de la répression en Tunisie. La Découverte, 2006 , et qui n’a fait que s’accélérer avec la transition démocratique. L’Etat de Saied continue sur la même voie, en accélérant comme jamais. Derniers vestiges de protection sociale, les subventions aux biens alimentaires de première nécessité sont déjà de facto de l’ordre du passé, les pénuries ayant normalisé le fait de devoir compter sur ses propres moyens. Quant aux services publics, santé, transport et éducation en tête, voilà plusieurs années déjà que l’Etat les a abandonnés, ouvrant la voie de la privatisation50Du temps de la transition démocratique, les inaugurations de cliniques privées par des ministres de la Santé étaient une pratique normalisée. . A défaut d’un nouveau contrat social, tout ce que l’Etat offre aujourd’hui, c’est le mirage d’un « Tout ira bien une fois les méchant∙es mis hors d’état de nuire ». Un renouvellement des politiques de l’attente qui fait de moins en moins illusion, avec une grande partie de l’opposition derrière les barreaux.

A moyen-terme, à mesure que la situation économique va s’aggraver – et rien ne permet de présager autre chose qu’une aggravation – la convergence d’intérêt entre une population en quête de justice sociale et d’amélioration de ses conditions de vie et un Saied champion du peuple-spectateur contre « les traitre∙sses » et « les méchant∙es », va être mise à rude épreuve. Si aujourd’hui, Saied appelle le peuple à la patience51Redayef en juin 2023 , il n’est pas à exclure qu’il va, face à une éventuelle hausse des protestations, agrandir le cercle des traitre∙sses à d’autres sphères52C’est ainsi qu’il faut lire la campagne pour renvoyer des centaines de milliers de fonctionnaires recrutés depuis 2011. Le pouvoir souhaite faire d’une pierre deux coups : trouver un nouveau bouc émissaire et faire des économies non-négligeables en allégeant la masse salariale dans le public. Voir "Kaïs Saïed veut assainir l'administration et cible 250.000 emplois." www.businessnews.com, 4 Sept. 2023, www.businessnews.com.tn/kais-saied-veut-assainir-ladministration-et-cible-250000-emplois-,519,131117,3. et transformer d’éventuels protestataires en « manipulé∙es ». A moins qu’une amélioration de la situation économique n’advienne, la rupture semble inexorable.

Toutefois, il faut relativiser l’impact d’une rupture. Là où beaucoup attendent la chute d’un Saied rattrapé par l’économie, le lien de cause à effet prédit ici est incertain. L’opposition n’a elle-même pas grand-chose à proposer, et il y a fort à parier qu’entre un pouvoir autoritaire et concentré sans horizons économiques et un retour d’un jeu démocratique confus, conflictuel et tout aussi dénué d’horizons économiques, la préférence populaire ira vers le statu quo autoritaire.

Conclusion

Douze ans après la chute de Ben Ali, la prise en charge politique des inégalités et de leur impact sur la qualité de vie des gens est toujours au stade embryonnaire. La prise en charge politique des divisions implique de créer des visions du pays, de proposer des horizons. C’est de cela que le pays manque cruellement depuis 2011. Ni Saied, ni ses opposant∙es n’ont de propositions à ce niveau-là : Le seul horizon d’avenir proposé est celui de la purification, de l’exclusion ou de l’élimination d’un groupe donné (les laïc∙ques, les islamistes, les corrompu∙es, les traitres∙ses etc.). L’horizon de la vie des gens, tout simplement, celui de leur quotidien, de leur santé, de leur éducation, de leurs moyens de transport, de leur qualité de vie, de ce que ça veut dire la liberté, la démocratie, la justice dans ce pays, tout cela reste sans réponse.

Créer des horizons appelle à une critique du nationalisme comme idéologie libératrice. Le nationalisme sert depuis l’indépendance à museler les divisions de classe et les appels à l’égalité entre les régions. Aujourd’hui, le nationalisme unitaire crée une stérilité politique où le seul horizon est purificateur. L’ironie veut que, dans un pays où les élites politiques n’ont eu de cesse de déclarer le peuple trop immature pour la démocratie, c’est en partie leur propre immaturité, matérialisée par le refus de sortir des poncifs nationalistes, moraux, ou identitaires, et de prendre en charge politiquement les divisions et les luttes de la société, qui ramène le pays à la case dictature.

Endnotes

Endnotes
1 Thiranagama, Sharika and Kelly, Tobias. 2010. Introduction: Specters of Treason In: Thiranagama, Sharika and Kelly, Tobias, (eds.) Traitors: Suspicion, Intimacy, and the Ethics of State-Building. University of Pennsylvania Press, Pennsylvania, US, pp. 1-23 ISBN 9780812242133
2 Malek Lakhal, "Entretien avec Leyla Dakhli: «L’exception tunisienne», ses usages et ses usagers." Nawaat, 1544, nawaat.org/2018/12/10/entretien-avec-leyla-dakhli-lexception-tunisienne-ses-usages-et-ses-usagers.
3 Voir Béchir Ayari Michaël and Michel Camau. 2017. Le Prix De L'engagement Politique Dans La Tunisie Autoritaire Gauchistes Et Islamistes Sous Bourguiba Et Ben Ali 1957-2011. Tunis Paris: IRMC : Karthala.
4 Oualdi M'hamed. 2022. Salah Ben Youssef Et Les Youssefistes : Au Tournant De L'indépendance Tunisienne 1955-1956. Tunis: Cérès editions.
5 Ibid. p. 148.
6 Incomplète, puisque certains seront réintégrés.
7 Et dès lors que l’Etat est une entité prestigieuse, il n’est pas acceptable pour le grand public que ses représentants se comportent de manière vulgaire. Cela peut être l’une des raisons pour laquelle le parlement est devenu aussi « symboliquement » honni aussi bien celui qui a été suspendu que l’actuel : les représentants du peuple, que l’on peut regarder à la télévision, ne sont pas à la hauteur du « Prestige de l’Etat ».
8 Béji Hélé. 2014. Désenchantement National : Essai Sur La Décolonisation. Tunis: Elyzad. P.86
9 Dmitry Chernobrov. "Who is the modern ‘traitor’? ‘Fifth column’ accusations in US and UK politics and media." Politics, vol. 39, no. 3, 24 May. 2018, pp. 347-62, doi:10.1177/0263395718776215.
10 Sadri Khiari. 2003. Tunisie: le délitement de la cité : coercition, consentement, résistance. Paris: Karthala.
11 Jabri, Vivienne. 2012. The Postcolonial Subject : Claiming Politics/Governing Others in Late Modernity. Londo: Routledge p.100
12 Béji op.cit. p.49
13 Béji op.cit. p.13
14 Il serait permis de discuter en un autre temps et un autre lieu de cette interminable quête du « pêché » (on serait tentés de dire originel) ayant conduit à la colonisation. Cette quête qu’incarne à la perfection la célèbre phrase de Malek Bennabi « Nous avons été colonisés parce que nous étions colonisables », semble avoir monopolisé une bonne partie des débats intellectuels arabes depuis l’avènement de la colonisation, au détriment d’une analyse matérialiste de l’impérialisme.
15 Béji op.cit. p.77
16 Béji op.cit. p.50
17 Notons que la pluralité en Tunisie est le plus souvent célébrée au passé : souvenir des juif∙ves et des communautés européennes en Tunisie, avec certains quartiers comme La Goulette, symbolisant le vivre-ensemble. Un récit qui efface non seulement l’entreprise d’exclusion des minorités juives tunisiennes entamée dès 1956 par l’Etat indépendant, les violences antisémites subies par la suite, mais efface, aujourd’hui encore, les discriminations et violences subies par les juif∙ves, les Tunisien∙nes noir∙es et les migrant∙es issu∙es des pays d’Afrique subsaharienne.
18 « C’est important pour les Tunisiens de se dire que lorsque nous sommes face à des difficultés, il faut les régler entre Tunisiens et ne jamais faire appel à l’étranger, aux non-Tunisiens. Nos partenaires étrangers sont nos amis mais ils ne peuvent être partie prenante dans nos affaires intérieures. Un différend au sein de la même famille doit être résolu exclusivement par ses membres. C’est une position personnelle que j’ai toujours défendue ardemment. » La Presse avec TAP. "Journée de la diplomatie tunisienne — Nabil Ammar, ministre des Affaires étrangères : « Derrière les déclarations de certains responsables occidentaux se cachent surtout des ambitions politiques et électorales » | La Presse de Tunisie." La Presse de Tunisie, 1 May. 2023, lapresse.tn/156976/journee-de-la-diplomatie-tunisienne-nabil-ammar-ministre-des-affaires-etrangeres-derriere-les-declarations-de-certains-responsables-occidentaux-se-cachent-surtout-des-ambition.
19 Voir Girardet Raoul. 2003. Mythes Et Mythologies Politiques. Paris: Seuil. https://archive.org/details/mythesetmytholog0000gira.
20 Ici par exemple Ennahdha en 2012 https://www.businessnews.com.tn/tunisie-ennahdha-accuse-certaines-parties-politiques-detre-derriere-les-evenements,520,31642,3 et Kais Saied en 2023 https://www.aa.com.tr/fr/afrique/le-pr%C3%A9sident-tunisien-accuse-certaines-parties-d-%C5%93uvrer-%C3%A0-envenimer-les-situations-/2872132
21 Son discours à Sidi Bouzid en septembre 2021 était à ce titre exemplaire, voir Lakhal, Malek. "Peuple fantôme et populisme par le haut : le cas Kais Saied." Arab Reform Initiative, 23 Mar. 2022, www.arab-reform.net/fr/publication/peuple-fantome-et-populisme-par-le-haut-le-cas-kais-saied.
22 Ces produits sont quasi exclusivement importés par l’Etat. Le café peut être importé par des entreprises mais les taxes sur l’importation très élevées.
23 Les bulletins nationaux de la statistique de l’Institut National des Statistiques montrent qu’entre février et avril 2023, 1 600 tonnes de cafés ont été importées contre 16 700 tonnes durant la même période en 2022 (où les pénuries de café étaient déjà récurrentes) soit une division par dix des importations.
24 Les bulletins nationaux de la statistique de l’Institut National des Statistiques montrent qu’entre février et avril 2023, les importations de blé tendre se sont élevées à 683 000,3 tonnes contre 917 000,6 tonnes en 2022
25 Bien sûr, l’ironie veut que ce soit sous le régime de Saied, que les pièces obscures ont connu une certaine apogée avec des accords délibérément tenus secrets (l’accord avec l’Union Européenne signé en juillet 2023 par exemple).
26 Elle nous renvoie par exemple à la figure d’un Nasser de 1956, résistant aux français, britanniques et israéliens venus reprendre le canal de Suez après sa nationalisation.
27 Béchir Ayari Michaël and Michel Camau. op. cit.
28 Une analyse genrée de ce phénomène reste à mener. D’après nos observations et intuitions, cette fierté est très largement incarnée par des figures masculines, et ce sont des hommes qui y sont les plus sensibles.
29 Karim El Taki. 2021. “Subordinates’ Quest for Recognition in Hierarchy”. Millennium, 50(1), 55–82. https://doi.org/10.1177/03058298211050953
30 Même quand il est porté par un Etat que les analyses marxistes les plus élémentaires décrivent comme étant au service des bourgeoisies nationales et donc in fine, au service des puissances impérialistes.
31 Voir à ce sujet Karim El Taki, op. cit.
32 Fatma Oussedik. 2022. Avoir un Ami puissant : Enquête sur les familles urbaines Alger – Oran – Annaba. Koukou Editions : Alger p.358.
33 Dmitry Chernobrov. Op. cit.
34 Ibid.
35 Thomas Serres, « Variations sur le thème de l'union du peuple dans les discours politiques en Algérie », Dynamiques Internationales, numéro 7, octobre 2012.
36 Ibid.
37 Voir Malek Lakhal. 2019. Petit Exercice d’Analyse de la Haine de Soi, Numéro 4 : A reculons : Critiquer pour Ecrire Revue Asameena
38 Noha Roushdy. 2021. Between class and nation: international education and the dilemmas of elite belonging in contemporary Egypt. Boston University (Unpublished PhD Thesis
39 Roshdy op. cit.
40 Roshdy op. cit.
41 Quiconque connait la haute administration tunisienne sait que la langue d’usage continue d’être le français alors même que l’arabisation y est instituée depuis plus de vingt ans.
42 Bien sûr, une exception intéressante et sous-étudiée est celle des descendant∙es tunisien∙nes de travailleur∙ses immigré∙es qui sont de fait, bien plus proches de l’Occident que n’importe quel bourgeois∙e tunisien∙ne mais sont toujours renvoyé∙es à leurs origines modestes, voire sont stigmatisé∙es par les bourgeois∙es à travers la reprise des discours français sur les banlieues.
43 Ce plafond de verre s’est illustré symboliquement lors de la transition démocratique par les moqueries systématiques qui ont visé les responsables politiques faisant des erreurs lorsqu’elles s’expriment en français. On remarque d’ailleurs que les erreurs en arabe de la Première Ministre, Najla Bouden, ne suscitent pas la même indignation.
44 Je pense notamment à Ben Ali ou encore, plus près de nous, au chef du parti nationaliste arabe « Mouvement du Peuple », Haykel El Mekki.
45 Durant la transition démocratique, cette même tension a été déviée vers le débat identitaire entre « islamistes » et « modernistes »
46 Pour témoin, son insistance à s’exprimer en arabe littéraire, se distinguant ainsi de l’élite cosmopolite parlant le français.
47 Voir Boussen, Zied et Lakhal, Malek. 2023. The Political Usage of Anti-Corruption in Tunisia. Euromesco. (Policy Brief) https://www.euromesco.net/wp-content/uploads/2023/06/Policy-Brief-N%C2%BA133.pdf
48 Béji op.cit. p.13
49 Hibou, Béatrice. La force de l'obéissance. Économie politique de la répression en Tunisie. La Découverte, 2006
50 Du temps de la transition démocratique, les inaugurations de cliniques privées par des ministres de la Santé étaient une pratique normalisée.
51 Redayef en juin 2023
52 C’est ainsi qu’il faut lire la campagne pour renvoyer des centaines de milliers de fonctionnaires recrutés depuis 2011. Le pouvoir souhaite faire d’une pierre deux coups : trouver un nouveau bouc émissaire et faire des économies non-négligeables en allégeant la masse salariale dans le public. Voir "Kaïs Saïed veut assainir l'administration et cible 250.000 emplois." www.businessnews.com, 4 Sept. 2023, www.businessnews.com.tn/kais-saied-veut-assainir-ladministration-et-cible-250000-emplois-,519,131117,3.

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