La Tunisie face à la Covid-19 :   Penser ensemble, agir de concert 

 

Communiqué de L’Observatoire Tunisien de la Transition Démocratique, partenaire de l'Arab Reform Initiative.

Avec un nombre réduit de personnes décédées ou déclarées positives à ce jour, la Tunisie, et relativement à d’autres pays, présente un tableau « satisfaisant » dans la gestion de la crise de la Covid-19 (acronyme de Coronavirus Infectious Disease 2019, traduit par Maladie à coronavirus 2019, d’où le féminin pour le terme Covid-19). Comme partout ailleurs, la pandémie a suscité des débats aussi serrés qu’animés sur ses multiples aspects et répercussions. L’Observatoire Tunisien de la Transition Démocratique, Think tank sous la forme d’une association à but scientifique, tient à apporter sa contribution parce qu’il considère que la « raison publique » est d’abord une « intelligence collective », fruit d’une interaction entre participants à la discussion publique. L’Observatoire considère que la Covid-19 est un « fait social total » au sens durkheimien qui appelle forcément une analyse aussi protéiforme, en phase avec les grandes thématiques soulevées par cette crise sanitaire. Le suivi des débats autour de cette « situation de guerre » met en lumière des problématiques phares. L’analyse de l’Observatoire les déclinent en cinq axes, chacun posant une question appropriée :  la vie ou l’économie ? (1), la mondialisation ou la souveraineté ? (2), l’état d’exception ou l’État de droit ? (3), est-ce une crise politique ou une crise du politique ? (4), enfin la solidarité ou l’égoïsme ? (5).

  1. Le choix du confinement a été judicieux. Il montre que le gouvernement a accordé la primauté de la vie. Seulement, l'Etat ne dispose pas des moyens de préserver toutes les vies et dignement. Le confinement a aggravé les inégalités qui traversent la société. Afin d’y remédier le gouvernement décide de compenser d’un bout à l’autre de la chaîne, les plus vulnérables et les entreprises. Or, le spectre de ceux qui subissent les effets délétères du confinement est beaucoup plus large.
  2. La Covit-19 confirme les critiques adressées à une mondialisation néolibérale et inégalitaire. Mais en même temps, la réponse souverainiste autarcique est inappropriée. Entre ces deux extrêmes, il appartient à la Tunisie de développer son autonomie dans les domaines stratégiques (alimentaires, de la santé, de l’éducation et du transport).
  3. La Covid-19 déclenche une grande polémique autour de ce qu’on appelle « l’état d’exception ». Il a deux acceptions, philosophique et juridique. La première se réfère au « biopouvoir numérique » régissant la Chine et susceptible de s’étendre aux démocraties. Nous en sommes loin, le pays étant faiblement numérisé. La deuxième acception juridique nous concerne à travers le mécanisme constitutionnel de l’articles 80 activé par le Chef de l’État et 70 ; Cependant, il existe des craintes justifiées de voir les droits humains sacrifiés à des fins de sécurité et de de faire du régime dérogatoire l’ordre naturel des choses.
  4. La crise met à nu le délitement du système de la santé, de l’éducation nationale et des mécanismes de la solidarité. Mais encore, elle expose au grand jour les travers du système politique. Le Chef d’État est complètement décalé par rapport à un populisme épique qu’il s’est imposé ; le gouvernement gère la crise de manière rationnelle avec peu de moyens, cependant de manière improvisée, au quotidien, confuse et non prospective ; enfin les partis impotents se sont illustrés par une absence sidérale de vision, une absence de conscience historique des enjeux, la plupart continuant à se fustiger les uns aux autres, de manière frivole et vulgaire. Sur cela se greffe le manque de confiance flagrant entre l'exécutif et le législatif et entre les différents acteurs politiques. Ceci est la conséquence de la non reproduction de la noblesse d’État depuis la révolution. Seul échappe à la défiance le Médecin de la santé publique, une figure qui parle le langage de la science, à l’antipode du discours religieux mystificateur et du bavardage politique.
  5. La Covid-19 ébranle le vivre-ensemble, déclenchant un mouvement contradictoire d’altruisme et d’égoïsme. Un élan extraordinaire rassemble les Tunisiens et les Tunisiennes lors-même que l’hystérie de la survie les poussent au repli sur soi, voire à des incivilités. La même antinomie (solidarité versus égoïsme) régit les rapports entre les nations. L’une des thèses fortes consiste à ramener l’origine du mal à notre rapport à la nature. En Tunisie, l’absence de sensibilité à l’égard de l’environnement est à déplorer. En même temps, le pays n’a fort heureusement pas d’industries prédatrices à grande échelle et émettrices de gaz à effets de serre ; ce qui est une chance pour une économie écologique à construire. En rapport avec les cinq axes de réflexion, l’Observatoire propose un certain nombre de recommandations.
    1. Continuer à donner la primauté à la vie.
    2. Se prémunir contre une mondialisation néo-libérale et injuste.
    3. Utiliser à bon escient « l’état d’exception » dans le respect des droits humains et des libertés.
    4. Redonner ses lettres de noblesse ses lettres de noblesse en commençant par déclarer un « moratoire » aux pugilats politiques stériles (et non abolir le principe même du conflit).
    5. Préserver le lien social du délitement.

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Liste des signataires :

Hamadi Redissi, politiste, président de l’OTTD, Asma Nouira, politiste, ancienne présidente de l’OTTD  et directrice du département de science politique à la Faculté de droit de Tunis, Hafedh Chekir, démographe, ancien directeur régional Fonds des Nations Unies pour la Population pour le Monde arabe, Chafiq Sarsar, juriste, ancien président de l’ISIE, primé en 2016 de la Joe Baxter Award for improvements to election Administration Practices, Hafidha Chekir, juriste, membre du Bureau directeur de l'ATFD et vice-présidente de la Fédération internationale des Droits de l'Homme (depuis 2016), Sonia Mbarek, musicienne et politiste, ancienne Ministre de la Culture et de la sauvegarde du patrimoine, Tarek ben Chaabane, sociologue des médias et scénariste,  Abdelkrim Allagui, historien, ancien vice-président de la LTDH, Sahbi Khakfaoui, politiste, enseignant chercheur à la Faculté de sciences juridiques, économiques et de gestion de Jendouba,  Fatma Ellafi, juriste,  enseignante chercheure à la Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis, Cheyma M’barki, médecin de la santé publique, ancienne responsable dans le cadre du projet Marsad Baladia à Bawsala, Hatem Chakroun, politiste, secrétaire général de l’OTTD et coordinateur pédagogique du programme OpenGov Academic à la Faculté de Droit et des Sciences Politiques.

Les opinions représentées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’Arab Reform Initiative, de son personnel ou de son conseil d'administration.